GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) Le rôle des colonies
Une expérience importante pour la métropole comme pour ses colonies
Aux yeux des autorités comme de l’opinion publique, la participation des soldats coloniaux à la guerre aura prouvé leur loyauté et la possibilité d’engager dans un conflit européen des contingents d’outre-mer disciplinés et efficaces. Au reste, les troupes des colonies participent au défilé solennel de la Victoire le 14 juillet 1919. Quelques festivités ont lieu aussi outre-mer, comme au Sénégal. Cette même année, une médaille commémore la participation militaire des indigènes coloniaux à la guerre tandis que des lois étendent le système de la conscription à l’ensemble de l’empire. Au cours des années suivantes, quelques monuments qui évoquent les coloniaux morts au combat sont érigés à Reims, Vimy ou Douaumont. Si le dévouement des soldats et la large contribution des travailleurs coloniaux ont rassuré, si une partie d’entre eux participe à la première occupation de la Ruhr ou est appelée à stationner un peu partout sur le territoire français, il n’en demeure pas moins que, la guerre terminée, la priorité est leur démobilisation. Le bilan de leur présence sur les fronts ou dans les usines et les champs est nuancé.
Pour tous les coloniaux, la participation à la guerre est importante à maints égards. Outre l’expérience combattante, ils sont marqués par l’arrachement à la terre natale et le départ vers une métropole le plus souvent totalement inconnue, avec une acclimatation souvent très difficile : le froid, auquel ils ne sont pas accoutumés, provoque gelures, bronchites ou pneumonies. Les soldats recrutés en grand nombre à la fin de la guerre sont décimés par la rougeole, la méningite cérébro-spinale ou le typhus. Mais cet arrachement constitue également pour ces hommes une forme de libération tant vis-à-vis de la communauté villageoise que de la domination coloniale : leur illettrisme recule, leur séjour en métropole – au cours duquel ils croisent aussi bien des Français que des hommes venus de tout l’empire – les ouvre à d’autres horizons. Bien souvent, soldats et travailleurs gardent le souvenir d’une France accueillante et généreuse, bien différente de la métropole qui fait régner outre-mer l’arbitraire colonial. L’ordre militaire et la discipline au travail ont pu leur apparaître comme plus égalitaires que l’ordre colonial, en dépit des vexations et du prisme racial par lequel ils ont été souvent perçus : les Noirs (« négros », « chocolats ») sont résumés à la figure rigolarde du tirailleur de « Y’a bon Banania » (1915), les Maghrébins sont des « arbis » ou des « bicots », mais les stéréotypes concernent également les Italiens (« macaroni ») ou les Bretons (« plouks »). Pour autant, si le racialisme est omniprésent – surtout dans les discours et les pratiques d’État –, de nombreux travailleurs et soldats coloniaux disent avoir été bien accueillis par les populations françaises, ce qui conduit à nuancer le racisme de ces dernières. Cela est plus vrai encore pour les soldats coloniaux britanniques et pour les Noirs américains engagés aux côtés des troupes françaises dont plusieurs centaines reviennent en France après la guerre pour s’y installer.
Certes, les travailleurs coloniaux sont parfois considérés comme des briseurs de grève, mais il n’est pas rare qu’ils participent aux luttes sociales aux côtés des nationaux. À leur retour dans les colonies, on observe l’émergence d’une nouvelle conscience politique ; forts de leur apprentissage du salariat, ils commencent à s’organiser collectivement. Ainsi, le mouvement syndical se développe en Afrique du Nord, tandis que les Indochinois multiplient les actes de résistance à la tutelle française. En outre, chez les travailleurs surtout, le séjour métropolitain a entraîné des modifications dans les manières (usage du tabac, possession[...]
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Écrit par
- Laurent DORNEL : maître de conférences en histoire contemporaine à l'université des pays de l'Adour, laboratoire Identités, territoires, expressions, mobilités
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Médias