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GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) Mémoires et débats

La Grande Guerre s'est déroulée il y a un siècle, et tous ses acteurs ont désormais disparu. Sa mémoire reste cependant d'une étonnante vivacité. La Première Guerre mondiale suscite un intérêt constant, aussi bien dans la sphère culturelle et dans l'espace public que pour les chercheurs qui continuent d'en débattre. C'est particulièrement marqué en France, où la mort en 2008 du « dernier poilu », Lazare Ponticelli, a connu un retentissement national, et où les controverses entre historiens ont été les plus vives. Comment expliquer cette présence mémorielle de l'événement ? Quelles sont les lectures actuelles de la Grande Guerre et les pistes d'interprétation proposées par les historiens ?

Présence de la Grande Guerre

Dans les années 1920 et 1930, la mémoire de la guerre est quasi omniprésente : par le deuil massif qui frappe, directement ou indirectement, chaque famille ou presque ; par l'érection de monuments aux morts (dans 95 p. 100 des communes françaises) ; par l'investissement des anciens combattants dans l'espace public et leur attachement au pacifisme ; enfin par l'ampleur des productions culturelles qui la prennent pour objet. Les romans et récits de guerre se comptent par centaines, certains étant même portés à l'écran, comme Les Croix de bois de Roland Dorgelès, prix Femina 1919, adapté au cinéma par Raymond Bernard en 1932. Le souvenir du conflit est, de plus, périodiquement ravivé par les parutions plus ou moins polémiques de Mémoires et de souvenirs des dirigeants (l'ancien ministre de la guerre et président du Conseil Paul Painlevé justifie sa politique très discutée dans Comment j'ai nommé Foch et Pétain en 1923) et par les funérailles de ses grands acteurs (Clemenceau et Foch en 1929, Joffre en 1931). Il donne lieu à de vifs débats politiques autour de certaines affaires, comme la question des « fusillés pour l'exemple », pour laquelle une Cour spéciale de justice militaire finit par siéger en 1932.

À cette forte présence mémorielle succède une phase de relatif effacement, des années 1950 à 1980, à l'exception du cinquantenaire célébré à partir de 1964, qui occasionne une petite vague éditoriale. Dans l'ensemble, la période est davantage dominée par des enjeux contemporains (autour de la guerre d'Algérie puis de Mai-68), mais aussi par la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Les préoccupations des anciens combattants vieillissants de 1914-1918 paraissent un peu décalées aux générations suivantes, celles qui sont davantage marquées par l'Occupation et la décolonisation, puis celles des baby-boomers qui n'ont pas connu les guerres. Au terme de cette éclipse, la Grande Guerre connaît depuis deux décennies environ un spectaculaire regain d'intérêt.

À l'échelle française, on le mesure à plusieurs indicateurs complémentaires. La production culturelle le reflète fortement, au cinéma et dans la littérature en particulier.

<it>Joyeux Noël</it>, de Christian Carion, 2005, affiche - crédits : UGC Films/ Album/ AKG-Images

Joyeux Noël, de Christian Carion, 2005, affiche

Plusieurs films, comme Un long dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet (2004), d'après un roman de Sébastien Japrisot, ou Joyeux Noël, de Christian Carion (2005), ont réuni un très large public. La fiction littéraire s'est également emparée du conflit, après le prix Goncourt 1990 décerné à Jean Rouaud pour Les Champs d'honneur, ouvrage qui évoquait justement la présence inextinguible de ce passé guerrier dans une famille. À sa suite, Jean Vautrin, Philippe Claudel, Laurent Gaudé, Pierre Lemaître, entre autres, ont consacré des romans à la Grande Guerre. L'écriture se diversifie d'ailleurs puisque le conflit devient le support de romans policiers ou de livres pour la jeunesse. Plus profondément, c'est un phénomène d'édition remarquable qu'on peut observer : la parution de témoignages de guerre, au sens large (lettres d'un aïeul, carnet de guerre retrouvé,[...]

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Écrit par

  • : agrégé, docteur en histoire, professeur en classes préparatoires

Classification

Médias

<it>Joyeux Noël</it>, de Christian Carion, 2005, affiche - crédits : UGC Films/ Album/ AKG-Images

Joyeux Noël, de Christian Carion, 2005, affiche

Stéphane Audoin-Rouzeau - crédits : D.R.

Stéphane Audoin-Rouzeau

Monument aux morts, Chabanais (Charente) - crédits : Gilles Beauvarlet, 2008/ Région Poitou-Charentes, inventaire général du patrimoine culturel

Monument aux morts, Chabanais (Charente)