GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) Mémoires et débats
Débats historiographiques et pistes de recherche
Comme pour tout événement historique, le questionnement des chercheurs sur la Grande Guerre dépend d'un contexte et évolue donc avec le temps. La génération de l'après-guerre avait largement concentré ses efforts sur le problème des causes et des responsabilités de la guerre, question déterminante pour les relations internationales des années 1920 et 1930, dans le contexte de la remise en cause du traité de Versailles. La guerre elle-même était étudiée à travers une histoire militaire traditionnelle, l'« histoire-bataille », plus attentive aux mouvements des unités et aux décisions des généraux qu'au sort des combattants. Les années 1940 et 1950 montrent ensuite un intérêt assez faible pour la Grande Guerre. Celle-ci suscite de nombreuses recherches à partir des années 1960, en lien avec la croissance des universités. À cette époque, avec l'essor d'une histoire sociale marquée par le marxisme, le questionnement sur 1914-1918 s'élargit : la révolution russe, le socialisme, les groupes sociaux en guerre tels que les femmes et les ouvriers deviennent des objets d'étude. Depuis les années 1990, sans qu'aucune de ces pistes soit épuisée, on assiste à de nouveaux débats.
La ténacité des combattants en question
En France, à mesure que disparaissait l'expérience directe du combat et même du service militaire (supprimé en 1997), la vie des combattants dans les conditions extrêmes de la guerre des tranchées et leur longue endurance est apparue de plus en plus « incompréhensible ». Ce dernier terme est ainsi le sous-titre choisi par l'historien Jean-Baptiste Duroselle pour un ouvrage de référence paru en 1994. Comme beaucoup d'autres, il posait la question : « Comment ont-ils tenu ? » L'interrogation porte à la fois sur la société dans son ensemble, et sa capacité à affronter la guerre avec cohésion dans la durée, et plus spécifiquement sur les combattants et la constance de leur obéissance malgré un sort très difficile en premières lignes.
S'emparant de cette problématique, un groupe d'historiens mené par Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker a construit dans les années 1990 une thèse forte, celle du « consentement ». Pour eux, le fait majeur qu'il convient de dévoiler et de souligner est que les belligérants, et la société française en particulier, ont « consenti » à la guerre quatre années durant, sûrs de la justesse de leur cause, animés par un esprit de « croisade » patriotique. Les combattants auraient même pris goût, pour certains, à la violence de guerre, leur « consentement » et leur investissement sur le conflit expliquant la faible proportion de déserteurs ou de rebelles. Ils partageraient avec l'arrière et l'ensemble de la société une véritable « culture de guerre », imprégnant les esprits, chargée de haine à l'égard de l'adversaire. Ces auteurs en multiplient les exemples : les professions de foi chrétiennes et guerrières des évêques, l'exaltation patriotique des artistes et des intellectuels, comme Charles Péguy, Henri Bergson, l'enthousiasme pour le conflit ou la haine du « Boche » lisible dans les « journaux de tranchées » imprimés à l'arrière des lignes, ou encore la diffusion massive d'objets patriotiques (assiettes, calendriers, cartes postales) en seraient des signes.
À la question « Comment ont-ils tenu ? », ces historiens apportent donc une réponse d' histoire culturelle : ce sont les représentations mentales des contemporains, lisibles dans l'ensemble de ces discours, qui constituent une « culture de guerre » expliquant l'adhésion prolongée au conflit. L'idée d'une guerre subie, imposée à travers un appareil coercitif de censure, de propagande et de justice militaire,[...]
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Écrit par
- André LOEZ : agrégé, docteur en histoire, professeur en classes préparatoires
Classification
Médias