GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) Mutineries et désobéissances collectives
Les désobéissances militaires survenues durant la Première Guerre mondiale ont fortement marqué les mémoires, en raison notamment de la répression spectaculaire qui y est associée : des centaines de soldats (près de sept cents en France) furent fusillés pour des abandons de poste, des désertions ou des mutineries. Ces dernières sont des protestations collectives qui ont connu, sous différentes formes, une intensité croissante durant le conflit, avec des épisodes très significatifs en Italie, en France, en Allemagne et en Russie. Dans ces deux derniers pays, la désobéissance des militaires a contribué à une révolution qui a mis fin à la guerre.
Les mutineries, des formes variées de désobéissance collective
Le terme « mutinerie » désigne des actes et des événements de nature et de portée différentes, selon les contextes. Avant l’entrée en guerre de 1914, les belligérants ont le souvenir de mutineries navales (prise de contrôle d’un navire par ses marins, renversant les rapports d’autorité, comme dans les exemples célèbres du Bounty britannique en 1789 ou du Potemkine russe en 1905) et terrestres, elles-mêmes variées : mutinerie sanglante des cipayes, soldats indigènes des Indes britanniques, en 1857 ; protestation pacifique des fantassins du 17e régiment d’infanterie de Béziers, refusant d’intervenir contre les viticulteurs en grève dans le Midi en 1907.
On retrouve cette variété des formes durant la Grande Guerre, lors de laquelle les mutineries ne sont qu’un aspect, le plus frappant souvent en raison de son caractère collectif, d’une série d’actes d’indiscipline visant à éviter les combats, voire à protester contre la guerre : désertions individuelles, violences envers les officiers, mutilations volontaires, fraternisations… Autant d’actes sévèrement punis par les hiérarchies militaires s’appuyant sur des appareils juridiques spécifiques (en France, le Code de justice militaire de 1857 établit des « conseils de guerre » aux méthodes expéditives, particulièrement dans le contexte d’invasion de 1914).
Les mutineries elles-mêmes peuvent se classer en plusieurs types, ayant pour point commun de représenter des transgressions collectives de l’effort de guerre. On distingue d’abord le refus d’obéissance d’une troupe exposée au feu, généralement dans les circonstances d’un combat difficile, comme pour les fantassins exténués du 140e régiment d’infanterie, à Verdun en mai 1916, qui refusent de remonter en ligne sans avoir obtenu un repos minimal. Ce type d’actions à demi concertées, mais non préméditées, à proximité de l’ennemi, reste relativement rare, et parfois malaisé à distinguer de la reddition collective au cours de la bataille, attestée également.
Bien différentes sont les désobéissances déclenchées par des militaires plus loin du front, en permission ou dans des baraquements, émeutes ou violences suscitées non par la perspective des tranchées, mais par des griefs plus banals, comme un ravitaillement insuffisant ou une surveillance trop tatillonne des supérieurs. On peut citer comme exemple les soldats australiens qui mettent à sac le quartier des prostituées du Caire (Égypte) en avril 1915 après des altercations avec des souteneurs locaux, ou encore la mutinerie du corps expéditionnaire britannique au camp d’Étaples (Pas-de-Calais) en septembre 1917, lorsque l’arrestation perçue comme injuste d’un combattant déclenche trois jours de troubles. Dans ces faits, on ne lit ni volonté de retrait des combats ni revendications construites, mais plutôt un exutoire à des tensions accumulées dans le contexte guerrier.
À mi-chemin de ces deux logiques (l’évitement de la guerre dans le premier cas ; le défoulement passager dans le second) se trouvent les grands mouvements de mutineries des années 1917-1918, auxquels se mêle un élément nouveau : s’y font entendre des doléances argumentées,[...]
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Écrit par
- André LOEZ : agrégé, docteur en histoire, professeur en classes préparatoires
Classification
Médias