GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) Mutineries et désobéissances collectives
L’issue et la mémoire des mutineries
Dans la grande majorité des cas, on le voit, les mutineries échouent et font l’objet d’une répression sévère, conformément au fonctionnement des justices militaires durant le conflit. Dans le cas français, sous les ordres du général en chef Philippe Pétain qui a remplacé Nivelle en mai 1917, de lourdes peines sont prononcées, puisque près de cinq cents mutins sont condamnés à mort, tandis que des centaines d’autres sont transférés sans jugement dans des bagnes coloniaux. La sévérité des militaires est toutefois tempérée par les autorités politiques qui commuent nombre de sentences en peines de prison ou de travaux forcés ; on comptera au final près de trente exécutions pour les mutineries françaises de mai-juin 1917.
Les deux situations dans lesquelles les mutineries militaires parviennent à dépasser le stade d’une protestation isolée, éphémère et réprimée par les autorités sont celles de la Russie et de l’Allemagne en révolution. Dans les deux pays, l’indiscipline peut se généraliser parce qu’elle trouve le relais des forces politiques et sociales participant au renversement des régimes autoritaires du tsar et du Kaiser, dans l’espoir également de hâter la fin de la guerre. Déjà évoquée pour le cas russe en 1917, cette dynamique se reproduit à la fin de l’année 1918 en Allemagne, où éclatent de nouvelles mutineries navales, d’intensité considérable. Alors que la guerre est visiblement perdue et que des pourparlers sont engagés, l’ordre donné par l’amirauté impériale allemande d’appareiller pour une dernière bataille contre la flotte britannique, sans espoir de victoire, provoque la désobéissance des marins stationnés à Kiel et Wilhelmshaven, eux-mêmes fortement politisés. Leur mouvement trouve le relais des dockers, des ouvriers et des socialistes pacifistes de l’USPD (Parti social-démocrate indépendant) pour se généraliser et s’étendre à l’ensemble du pays dans les premiers jours de novembre 1918. Les mutins de la marine allemande ont donc contribué de façon décisive à l’issue de la guerre et au changement de régime qui découle de l’abdication du Kaiser le 9 novembre 1918.
La fin du conflit sur le front ouest ne fait cependant pas cesser toute désobéissance collective : exaspérés par la lenteur de la démobilisation, des soldats canadiens se révoltent en mars 1919 dans un camp du pays de Galles où ils sont parqués avant leur embarquement. Et, en avril 1919, des marins français qui croisent en mer Noire dans le cadre d’un effort d’endiguement des bolcheviks se révoltent à leur tour contre ce prolongement de la guerre, menés notamment par les futurs dirigeants communistes Charles Tillon et André Marty.
Ce dernier épisode a pu facilement faire l’objet d’usages politiques et mémoriels (par le Parti communiste français), tout comme, du temps de la République démocratique allemande, celui des matelots mutinés de 1917-1918, auxquels un monument érigé en 1977 dans le port de Rostock rend hommage. Ce sont pourtant là des exceptions : les mutineries françaises ou italiennes restent difficiles à aborder dans l’entre-deux-guerres pour des pays victorieux, où presque aucun témoignage de guerre ne les évoque directement, et où aucune plaque ni aucun monument ne sauraient les rappeler. Le cinéma et la littérature sont restés de même longtemps silencieux : contrairement à une idée répandue, le film de Stanley KubrickLes Sentiers de la gloire (1957), adapté d’un roman de 1935, ne porte aucunement sur les mutineries de 1917, mais sur des soldats fusillés injustement en 1916. Lorsque le film sort enfin en France, en 1975, les mutineries sont davantage abordées, non sans confusions fréquentes entre mutins et fusillés, même parmi les groupes qui s’approprient cette mémoire particulière du conflit, teintée de pacifisme. La multiplication des travaux[...]
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Écrit par
- André LOEZ : agrégé, docteur en histoire, professeur en classes préparatoires
Classification
Médias