GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE)
Vers la guerre civile internationale
Intensité de la lutte
En 1917, toutes les nations se sentent concernées par la guerre. Dans les deux camps on réclame à ses alliés non seulement un soutien militaire, mais également une aide économique, ce qui est un fait nouveau. Jusqu'en 1914, les puissances avaient toujours pensé que plus grand serait le nombre de divisions qu'elle pourrait jeter dans un conflit et plus grande serait la capacité de production de leurs usines d'armement, plus grande serait leur chance de gagner une guerre. Or en 1917, 17 millions d'hommes avaient été mis hors de combat (un tiers de morts) ; la Russie, en dépit de son énorme potentiel en hommes, n'avait pas réussi à ébranler l'Allemagne, parce qu'elle ne disposait pas d'une économie assez avancée.
L'idée d'une mobilisation de l'économie ne naquit qu'assez tard. Pendant deux ans, les états-majors avaient vécu la guerre en liant son issue à la notion, désormais dépassée, de campagne militaire. Or il ne s'agissait plus de gagner une bataille en fonction de l'état des stocks, mais de réorganiser l'économie du pays dans la perspective d'une guerre longue, dont on voyait mal l'issue. L'organisation de la production fut plus systématique et plus rapide que partout ailleurs en Allemagne, où la concentration de l'industrie et les nécessités du blocus conjuguèrent leurs effets dans le sens d'une mobilisation générale de l'économie. Ce fut en Grande-Bretagne que la main-d'œuvre fut distribuée de la façon la plus rationnelle entre l'arrière et le front. Plus arriérées au point de vue économique, l'Italie et la Russie accomplirent des efforts excessifs pour adapter production et consommation aux nécessités d'une guerre totale : ce fut dans ces pays que le « moral » craqua et que l'idéal de la paix ou de la révolution prit le pas sur celui de la victoire.
La désillusion
Intoxiquée par les journaux, les affiches, les livres, les films, les chansons patriotiques, les cérémonies officielles, le tintamarre des cuivres et du tambour, anesthésiée par la censure, l'opinion publique perdait peu à peu ses facultés d'exercer un rôle civique. On l'avait persuadée que toute critique de ses chefs était indiscipline, tout dénigrement trahison. Le phénomène était particulièrement sensible en France, où la présence ennemie, de Lille à Noyon, mettait en danger l'existence même de la nation. La Grande-Bretagne n'échappa pas pour autant à la frénésie patriotique, oubliant pour un temps ses traditions libérales. Au reste, seule l'Allemagne de Guillaume II continua à publier chaque jour le communiqué de l'ennemi.
Pourtant, les combattants n'osaient plus espérer en une victoire prochaine. Les peuples n'avaient plus la même foi en leurs gouvernements, les soldats en leurs chefs, les nations en leurs alliances. Les plans de tous les belligérants s'étaient révélés illusoires et désormais même le « bourrage de crâne » s'avérait sans emploi... La dette des nations déjà exsangues gonflait démesurément ; ainsi, une journée de guerre coûtait aux Allemands 7 millions de marks en 1870, 36 millions en 1914, 146 millions au début de 1918. Dans ces conditions, on comprend que seuls de substantiels avantages pouvaient encore stimuler les énergies et permettre aux économies de se reconstituer. Ainsi, les buts de guerre enflaient à mesure que les chances de les atteindre diminuaient.
Buts de guerre. La « guerre dans la guerre »
Les dirigeants français ne revendiquent ouvertement que le « retour de l'Alsace-Lorraine » ; en réalité, ils pensent à des « garanties » sur la rive gauche du Rhin, en Sarre ; ils rêvent aussi de démanteler l'empire allemand. En outre, Français, Anglais et Italiens envisagent de se partager[...]
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Écrit par
- Marc FERRO : docteur en histoire, docteur ès lettres, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, codirecteur des Annales
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