GUEVARA ERNESTO dit LE CHE (1928-1967)
La figure de l'Argentin Ernesto Guevara est aujourd'hui l'objet d'un mythe puissant dont la fabrication commença au lendemain même de sa mort. L'écrivain guatemaltèque Miguel Angel Asturias déclare, en recevant le prix Nobel de littérature en octobre 1967, que « Che Guevara représente l'une de nos grandes figures romantiques », tandis que Jean-Paul Sartre célèbre quelques jours plus tard « l'homme le plus complet de notre époque ». Tout au long des années 1960 et 1970, le Che – ainsi surnommé du fait de l'usage récurrent qu'il faisait de cette interjection argentine – est à la fois une icône de la jeunesse contestataire occidentale et une idole dans le Tiers Monde, où l'on célèbre son activisme révolutionnaire, son anti-impérialisme, sa volonté radicale de changement social ou sa remise en cause du modèle soviétique. Au début du xxie siècle, son nom est encore convoqué lorsqu'il s'agit de dénoncer la politique des États-Unis en Irak ou la mondialisation néo-libérale ; mise en scène par le cinéaste brésilien Walter Salles en 2004 dans Carnets de voyage, sa traversée de l'Amérique latine à motocyclette attire des millions de spectateurs dans le monde entier ; immortalisée par le photographe cubain Alberto Korda, sa tête – coiffée d'un béret frappé d'une étoile – est devenue produit de consommation de masse et n'en finit pas d'orner affiches et tee-shirts partout sur la planète. Si Guevara apparaît ainsi comme l'une des légendes politiques les plus durables de la période contemporaine, sa postérité de révolutionnaire romantique n'en est pas moins porteuse de nombreux malentendus, en ce qu'elle occulte notamment l'autoritarisme et l'intransigeante rigueur du professionnel de l'insurrection qu'il fut.
Né à Rosario (province de Santa Fe) le 14 juin 1928 dans une famille de la petite bourgeoisie argentine, Ernesto Guevara de la Serna suit une formation de médecin qu'il conclut avec succès en 1953, au retour d'un voyage de sept mois à travers l'Amérique latine (dont il témoigne dans Notas de viaje, diarios de motocicleta, 1993), qui est traditionnellement présenté comme le prélude de ses engagements futurs. Renonçant à la carrière qui s'offre à lui en Argentine, il gagne le Guatemala, où il assiste, en juin 1954, au renversement par les États-Unis du gouvernement réformiste de Jacobo Arbenz. Réfugié à Mexico, qui accueille de nombreux exilés politiques, Guevara rencontre des Cubains, dont les frères Castro qui préparent un nouveau soulèvement dans leur île après leur vaine tentative de 1953. En décembre 1956, il fait partie des quatre-vingt-deux insurgés qui débarquent dans le sud-est de Cuba, se réfugient dans la Sierra Maestra et participent à la chute du régime Batista en janvier 1959.
Les qualités de combattant et de stratège dont a fait preuve Guevara durant ces années de guérilla, sa bonne connaissance des théories économiques et sa familiarité avec la pensée marxiste lui confèrent un rôle primordial dans les premières années de la révolution cubaine. Sous le nouveau régime, le Che rencontre les leaders des Non-Alignés tels que Nasser, Nehru, Sukarno et Tito, auprès desquels il tente de trouver des soutiens diplomatiques. Soucieux d'exporter la révolution, il théorise l'expérience de la Sierra Maestra et appelle de ses vœux la création de multiples « foyers » révolutionnaires. Directeur du département industriel de l'Institut national de réforme agraire, directeur de la Banque centrale (1959-1961) puis ministre de l'Industrie (1961-1965), il promeut une voie cubaine de développement économique et social, censée accoucher d'un homme nouveau qui renoncerait à ses intérêts propres et serait tout entier voué à la révolution. Guevara doit toutefois composer avec les conséquences du blocus[...]
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Écrit par
- Olivier COMPAGNON : professeur d'histoire contemporaine, université Sorbonne nouvelle, Institut des hautes études de l'Amérique latine
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