BUDÉ GUILLAUME (1468-1540)
Étrange destin posthume que celui de Guillaume Budé. Unanimement salué comme le plus grand humaniste français, il fut de son vivant une sorte de héros du savoir, et comme la figure emblématique de cette « science des lettres » en plein essor, dont il avait été à l'aube du xvie siècle le pionnier, et dont il se fit sous le règne de François Ier l'inlassable avocat. Son nom est inséparable de la fondation du Collège de France. Mais son œuvre reste méconnue. Le choix qu'il a fait de l'expression latine – choix normal à l'époque – n'en est pas l'unique raison. Cette occultation est la conséquence des partis assumés par Budé lui-même : érudit qui écrit pour des érudits, penseur qui philosophe selon un mode tout poétique, et qui se laisse porter par les figures de style et les symboles, sans souci d'atteindre un large public. Or cette pensée ouvrait avec une rare profondeur des directions fécondes. Nous lui devons notamment la notion d'encyclopédie, c'est-à-dire l'idée que toutes les disciplines, toutes tributaires d'une science unique, celle du langage, sont indissolublement liées entre elles. Nous lui devons aussi la réflexion la plus aiguë sans doute qui ait jamais été menée sur le fragile et aléatoire équilibre qu'implique l'humanisme chrétien.
La ferveur des études
Guillaume Budé représentait en son temps un type nouveau d'écrivain, non point clerc, mais laïque, homme marié et père d'une famille nombreuse, préoccupé de l'administration de ses biens (sa maison de la rue Saint-Martin à Paris, ses maisons de campagne), assumant diverses responsabilités publiques au milieu desquelles il réussit difficilement, mais obstinément, à ménager le temps de l'étude. Il était né le 26 janvier 1468 d'une famille bourgeoise établie à Paris, ennoblie depuis la fin du xve siècle, et qui exerçait à titre pratiquement héréditaire des charges de trésorerie et de chancellerie. S'inscrivant dans cette tradition, Budé fit des études de droit à Orléans. Mais il en revint si déçu que durant plusieurs années il délaissa les livres et s'adonna avec ardeur à tous les arts de la chasse. Puis brusquement, autour de 1492, il abandonna ces plaisirs pour se consacrer à l'étude avec plus d'ardeur encore, au mépris de ses intérêts immédiats, et à celui de sa santé que l'excès de travail devait constamment maltraiter. Il apprit alors le grec pratiquement sans maître et presque sans instruments de travail. Toujours cultivant son propre mythe, il se peindra comme un autodidacte et un pionnier. L'étude avait été pour Budé l'objet d'une vocation tardive et impérieuse, elle fut toute sa vie l'objet d'une ferveur passionnée (il appelait la Philologie sa maîtresse, ses amours).
Sa recherche érudite se poursuivit dans deux directions. Tout d'abord un recensement des ressources de la langue grecque. Accumulé fiche après fiche, ce savoir aboutira en 1529 à la publication des Commentairii linguae graecae, mine de données offerte aux lexicographes futurs. Sa connaissance du grec est telle qu'il correspond en cette langue (nous possédons de lui près de soixante lettres grecques). Il se plaît aussi à mêler de grec son style latin, et même à forger des mots latins sur le modèle du grec. C'est dire que les deux langues sont devenues pour lui des langues vivantes. L'autre champ d'investigation est le Corpus juris. Guillaume Budé ne cessera jamais d'y travailler puisque, rendu célèbre en 1508 par ses Annotations aux Pandectes, il apporte un complément à celles-ci en 1526, puis laisse à sa mort des notes abondantes sur le vocabulaire juridique dont Robert Estienne tirera en 1544 un volume intitulé Forensia. Budé se soucie de retrouver la pureté des textes des jurisconsultes sous les alluvions[...]
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Écrit par
- Marie-Madeleine de LA GARANDERIE-OSTERMAN : agrégée de l'Université, docteur d'État, professeur honoraire à l'université de Nantes
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