OCKHAM GUILLAUME D' (1287 env.-1347)
Le « terminisme » et le problème des universaux
Ockham, instaurateur, tant pour ses adversaires que pour ses disciples, de la voie moderne, considère pourtant comme des novateurs ceux qui professent le réalisme des universaux et des relations ; pour l'essentiel, il se croit et se veut fidèle à la théorie aristotélicienne de la connaissance, mais en la libérant des dernières traces de platonisme. Son univers est fait de « choses » (res) singulières, contingentes et juxtaposées, que l'esprit appréhende dans un acte cognitif qualifié d'intuitif. Ockham conserve néanmoins la distinction non seulement entre une première saisie, en quelque façon neutre, et l'assentiment judicatoire qui la suit, mais entre la « sensation », qui révèle seule le fait de l'existence concrète et, d'autre part, l'« intellection » qui seule atteint la « quiddité » de la chose. L'être « objectif » (c'est-àdire intentionnel, au niveau de l'esprit connaissant) ne se confond aucunement avec l'être « subjectif » (dans le langage médiéval, l'être extra-mental de la chose même) ; on est donc très loin ici de l'immatérialisme berkeleyen. Certes, il n'est pas contradictoire que, par sa puissance absolue, Dieu produise dans une âme une vision sans « sujet » extérieur (et, pour Ockham, c'est bien ce qui se produit miraculeusement dans certaines circonstances), mais cet argument « dialectique » (lié au refus d'un lien « nécessaire » entre ce qui peut être séparé sans contrevenir au principe de non-contradiction) n'implique en rien le scepticisme ou le subjectivisme (au sens moderne du terme) que d'aucuns ont cru y discerner, soit pour en faire grief à l'ockhamisme, soit pour le célébrer comme un pressentiment de thèses critiques de type kantien qui lui sont étrangères encore (et dont on trouvera peut-être les prodromes chez Nicolas de Cues, un siècle et demi plus tard). Pour Ockham, au niveau de ce qu'il nomme la « puissance conditionnée », c'est-à-dire selon les « habitudes » de la nature créée, l'intuition intellective renvoie bien à un monde réel, connaissable tel qu'il est.
Il ne s'agit pas pour autant d'un simple « reflet » immédiat, et le venerabilis inceptor est de ceux qui ont le plus insisté, en son temps, sur le rôle de l' herméneutique. À partir du traité aristotélicien De l'interprétation, il présente les éléments de toute une sémiologie sans laquelle l'esprit ne saurait « déclarer » ce qu'il sait. Le concept, qui n'a lui-même valeur qu'intentionnelle, devient « matériellement signifiant » par l'entremise d'un « terme » (d'où le nom de terminisme donné à cette doctrine) ; il ne s'agit pas, comme pour Roscelin, d'un simple « ébranlement de l'air » (flatus vocis), ni non plus d'un quelconque langage naturel de gestes ou de cris, mais d'un « signe » conventionnel, variable selon les lieux et les temps et capable, selon un certain code linguistique, de « se substituer » à la chose (supponere pro re). La signification proprement dite repose sur ce que la logique médiévale nomme « supposition personnelle » (personaliter désignant quelque chose comme le « en chair et en os » – leibhaft – de la phénoménologie husserlienne), c'est-à-dire l'opération par laquelle le terme prend la place d'une réalité singulière effectivement existante. L'intellect cependant peut valablement viser les signes eux-mêmes (c'est la « supposition matérielle », par laquelle je dis, par exemple, qu'homme est un terme, ou une espèce) et même, par une « intention seconde », atteindre les « relations », à condition de ne jamais les prendre pour des choses, ce qui impliquerait la conséquence[...]
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Écrit par
- Maurice de GANDILLAC : professeur émérite à l'université de Paris-I
- Jeannine QUILLET : agrégée de l'Université, docteur ès lettres, professeur et directeur du département de philosophie à l'université de Paris XII-Créteil
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