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OCKHAM GUILLAUME D' (1287 env.-1347)

La théologie

En réalité, les hommes sont encore plus mal pourvus que le bénéficiaire de l'hypothèse fantastique énoncée ci-dessus ; ils ne disposent que de la Révélation, laquelle fournit seulement certains noms de Dieu et la certitude de quelques-unes de ses décisions libres ; la théologie ne peut donc être une science véritable, prétendûment « subalternée » à la vision des bienheureux ; c'est pourquoi Ockham préfère la définir comme une collection de propositions singulières, excluant non seulement tout « concept propre » de Dieu mais tout recours à la causalité. Cependant l'habitus du théologien concerne un « sujet » immense, d'une certaine façon la totalité du créé ; car il importe, avant toute autre recherche, de savoir ce qu'implique le premier article de foi : « Je crois en un seul Dieu tout-puissant. » Dieu n'étant lié par aucun système antécédent d'idées, ni par la fausse substantialité de formes intermédiaires, il peut sauver ou perdre qui lui plaît. Il n'était pas exclu, par conséquent, qu'il décidât de procurer la béatitude à quiconque pose librement des actes moralement bons. Cette formule dialectique a heurté, elle aussi, les enquêteurs d'Avignon parce qu'elle semblait, à première vue, rejoindre les affirmations averroïstes qui promettent à l'homme un bonheur purement naturel. Mais le dessein d'Ockham est complètement opposé : même dans l'hypothèse limite (présentée comme « irréelle » : « Dieu aurait pu »), la condition effective du salut serait pour lui d'« aimer Dieu par-dessus tout », et cet amour lui-même ne serait « bon et louable » qu'en vertu d'un décret divin. En fait, au niveau de la « puissance conditionnée », le Créateur ne rend les hommes bienheureux que par cet « habitus créé » qu'on nomme charité infuse ; mais Ockham tient que l'amitié divine ne requiert de soi aucune « forme amicitiante » qui agirait sur le vouloir humain et contraindrait en quelque sorte le vouloir divin, par sa seule présence, comme cause efficiente du salut. En substantialisant l'habitus de grâce, on tomberait dans le pélagianisme. Et le mérite de Duns Scot est d'avoir reconnu qu'« en vertu de rien de créé, soit que nous le possédions nous-mêmes, soit que nous le recevions immédiatement de Dieu, Dieu n'est nécessité à agréer aucun acte causé par l'homme, puisqu'il se pourrait toujours qu'il l'agréât par sa seule puissance absolue » (Sent., III, v).

Deux siècles plus tard, Luther, formé dans un climat ockhamiste, s'indignera de l'hypothèse même d'un salut mérité par acte libre de la droite raison ; il retiendra cependant un certain « extrincésime » de la justification, encore que rien chez Ockham ne prépare la formule luthérienne du juste qui reste « en même temps pécheur ». Si la prédestination ne se confond jamais pour lui avec la prévision des actes futurs de l'homme, dans le statut effectif voulu par Dieu (sauf cas exceptionnel comme l'illumination de Paul sur le chemin de Damas), le péché précède normalement la damnation et la vertu naturelle prépare le don de grâce. Ici encore, une fois rejetée toute réification de l'abstrait, Ockham retrouve à sa manière des positions traditionnelles et, malgré toutes les conséquences que d'aucuns tireront ensuite de ses principes, il ne peut passer lui-même, en aucun domaine, pour un véritable révolutionnaire.

— Maurice de GANDILLAC

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-I
  • : agrégée de l'Université, docteur ès lettres, professeur et directeur du département de philosophie à l'université de Paris XII-Créteil

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<em>Guillaume d’Ockham</em>, L.&nbsp;S. Lee - crédits : Paula Bailey/Lawrence Lee Project/ artist : Lawrence stanley LEE

Guillaume d’Ockham, L. S. Lee

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