GUILLAUME DE CONCHES (1080 env.-env. 1150)
Mort en 1150 ou peu après, Guillaume de Conches a commenté plusieurs auteurs fondamentaux : Priscien, Boèce, Macrobe, le Platon du Timée ; il est aussi l'auteur d'une Philosophie du monde (Philosophia mundi, vers 1125) et du Dragmaticon, et a glosé Juvénal. Il est très au courant des données scientifiques disponibles à son époque ; il a étudié des œuvres médicales d'origine grecque (Galien) et arabe dans les traductions procurées par Constantin l'Africain à la fin du xie siècle. Il intègre ces éléments à une philosophie d'inspiration platonicienne. Entre la Sagesse divine, identique au monde archétype des Idées, et le monde sensible, il intercale une Âme du monde qu'il identifie d'abord à l'Esprit-Saint ; plus tard, il en proposera concurremment plusieurs interprétations, sans se prononcer nettement entre elles. Il illustre ce concept venu du Timée par l'image, empruntée à Macrobe et plus lointainement à Homère, de la « chaîne d'or » qui lie entre eux tous les degrés de l'univers. Mais il faut surtout retenir de la pensée de Guillaume son élaboration du concept de nature. Il distingue ce que Dieu fait immédiatement, « par sa seule volonté », et ce qu'il fait par le moyen de la nature, « instrument de l'opération divine », « force incluse dans les choses et produisant les semblables à partir des semblables ». « Dieu gouverne le monde par l'intermédiaire de l'ordre naturel » : donc, dit Guillaume, en des formules qu'on lisait déjà chez Adelhard de Bath (début du xiie siècle), on peut et on doit « chercher la raison » de toutes choses, y compris de celles que raconte la Genèse ; en faisant ainsi, « on ne retire rien à Dieu ». Ce ne fut pas l'avis de Guillaume de Saint-Thierry, par exemple, qui, interprétant mal la physique de Guillaume de Conches, fondée sur une théorie des atomes et des qualités, l'accusa d'avoir professé qu'il n'y avait « d'autre dieu dans le monde que le concours des éléments et l'équilibre de la nature ». En fait, la pensée de Guillaume de Conches est le témoin d'une étape importante dans la conception médiévale de la nature, appuyée sur l'intérêt nouveau pour les sciences, qui est une des caractéristiques du xiie siècle. Pour saint Augustin, il n'y avait pas de différence entre les faits naturels et les miracles ; l'Évangile raconte que le Christ a multiplié des pains ; mais, chaque année, les champs produisent plus de grains qu'on n'y en a semé : ce second fait doit, tout comme le premier, être rapporté à l'action divine ; s'il nous paraît moins surprenant, c'est à cause de l'habitude ; au fond, tout est miracle. Dans la seconde moitié du xie siècle, Pierre Damien écrivait, dans sa Lettre sur la toute-puissance divine, que Dieu avait puissance sur toute l'étendue du temps et pouvait faire qu'un événement passé n'ait jamais eu lieu ; Dieu a « créé la nature contre la nature » (puisqu'il l'a faite de rien) et reste donc son maître absolu. Or Guillaume réserve la puissance de Dieu, mais affirme qu'elle se tient ordinairement dans les bornes de la nature : « Pour parler comme un paysan, dit-il, Dieu peut faire d'un tronc d'arbre, un veau ; mais l'a-t-il jamais fait ? »
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Écrit par
- Jean JOLIVET : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
Classification
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MOYEN ÂGE - Le monde médiéval
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