MACHAUT GUILLAUME DE (1300 env.-1377)
La messe
La messe à quatre voix de Guillaume de Machaut est la première messe polyphonique conçue comme un tout homogène. On ne connaît avant elle qu'une messe complète à trois voix, la messe dite de Tournai formée de fragments hétérogènes qu'il faut attribuer à des auteurs différents. Le répertoire d'Avignon fait apparaître des morceaux de l'ordinaire, traités polyphoniquement (surtout des Gloria et des Credo) mais aucune messe in extenso. Il revient à Guillaume de Machaut l'honneur d'avoir créé un genre qui allait connaître un extraordinaire essor au xve siècle.
On a vu que la messe de Machaut n'a point été exécutée pour le sacre de Charles V ; le titre Messe Notre-Dame qu'on lui donne quelquefois figure dans le manuscrit du marquis de Voguë. On peut le retenir en raison du fait suivant : Guillaume de Machaut et son frère Jean avaient fondé une messe de la Vierge qui se devait chanter tous les samedis à l'autel de la Rouelle en la cathédrale de Reims ; on peut légitimement penser que la Messe Notre-Dame a été écrite pour cette chapelle.
« La messe de Machaut, écrit Charles Van den Borren, demeure un chef-d'œuvre isolé bien fait pour surprendre par sa grandiose étrangeté et séduire par son audacieux modernisme. Il plane comme un mystère dans cette composition plus raffinée que barbare, encore qu'en l'étudiant de près l'on n'a pas de peine à apercevoir qu'elle est l'ultime produit d'une tradition, mais d'une tradition magnifiée par un génie qui n'hésite pas à en bousculer la rigidité, à la vivifier par toute la fantaisie que permettent depuis Philippe de Vitry les conceptions rythmiques élargies de l'Ars nova, avec leurs possibilités infinies de syncopation et solidairement d'emploi renforcé des notes de passage dissonantes. »
Les diverses parties de la messe ne sont point de même facture : le Kyrie, le Sanctus, l'Agnus et l'Ite missa est sont construits sur le modèle des motets isorythmiques, tandis que le Gloria et le Credo se rattachent à la technique du « conduit » et de la ballade. Mais il existe un facteur d'unité : le retour périodique de certains motifs mélodiques, ce qui est un pressentiment génial de ce que sera plus tard la forme dite cyclique.
Le Kyrie est bâti sur le thème du Kyrie grégorien Cunctipotens genitor Deus (graduel no IV, « in festis duplicibus »). Les ténors du Sanctus et de l'Agnus sont empruntés au graduel no XVII (« in dominicis adventus et quadragesimae »). Enfin le cantus firmus de l'Ite missa est reproduit presque intégralement le début du Sanctus grégorien emprunté au graduel no VIII (« in festis duplicibus »). Ces thèmes générateurs sont découpés en fragments isorythmiques, au sein desquels on découvre des symétries frappantes. Otto Gombosi en a fait l'analyse dans un article du Musical Quarterly (1950) et aboutit aux mêmes conclusions qu'Armand Machabey, lequel écrit à propos du ténor du Kyrie : « On remarque qu'il y a sept périodes de trois longues parfaites (ternaires) et l'on peut se demander si c'est le hasard qui a conduit Machaut à cette division plutôt que le sens mystique s'attachant à ces nombres (7 et 3). Les vues ésotériques n'étaient certainement pas étrangères au chanoine, qui vivait en un temps où l'occultisme s'était introduit dans tous les milieux intellectuels et se mélangeait plus ou moins subrepticement aux choses de la religion. » Au-dessus de ce ténor isorythmique et du contraténor de même structure, les parties supérieures (triplum et motetus) se développent plus librement dans un style fleuri, agrémenté de hoquets, quoiqu'on puisse y découvrir à maintes reprises un reflet de l'isorythmie des voix inférieures.
Dans le Gloria et le Credo, point de ténor liturgique,[...]
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Écrit par
- Roger BLANCHARD : musicologue
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