EICH GÜNTER (1907-1972)
Günter Eich est né à Lebus-sur-Oder. En 1918, la famille quitte le Brandebourg pour Berlin puis Leipzig, où Eich passe son baccalauréat. Il étudie ensuite la sinologie à Berlin (1925), et publie, dès 1927, ses premiers poèmes dans l'anthologie de Willi Fehse et Klaus Mann, Anthologie jüngster Lyrik. Il écrit ensuite, en collaboration, une première pièce radiophonique, La Vie et la mort de Caruso (1929), genre auquel il reviendra, tout particulièrement dans les années 1950-1959. Après un séjour d'un an à Paris paraît en 1930 un premier recueil de poèmes. Dans les années trente, il étudie l'économie, travaille pour la radio et collabore à la revue Die Kolonne. Soldat dès 1939, prisonnier en 1945, l'expérience de la guerre laisse des traces profondes dans son lyrisme. Le poème Inventaire (Inventur, 1945) le range parmi ceux qui, au lendemain de la tourmente, tentent de reprendre possession du monde au moyen des mots. Il est du reste l'un des fondateurs du Groupe 47 (avec, entre autres, Heinrich Böll). Les années cinquante et soixante témoignent d'une production régulière, couronnée par de nombreux prix littéraires, en dépit d'un rapport désormais critique aux mots et au monde, qu'expriment en particulier les titres de ses derniers recueils : aux Fermes retirées (Abgelegene Gehöfte, 1948), à Métro (Untergrundbahn, 1949) et aux Messagers de la pluie (Botschaften des Regens, 1955) succèdent Aux actes (Zu den Akten, 1964), Incitations et jardins de méditation (Anlässe und Steingärten, 1966) et Taupes (Maulwürfe, 1968, qu'on pourrait aussi traduire par “Coups de gueule”), poèmes en prose d'un genre laconique et souvent paradoxal.
Si le vécu et la pensée sont semblables à la taupe et si leur cheminement ne se traduit plus qu'à la manière dont la taupe progresse, par coups de gueule, c'est que la traduction de l'intériorité par le lyrisme ne saurait plus s'accomplir en pleine lumière, grâce au rapport transparent des mots et des choses. Comme presque tous les poètes allemands “après Auschwitz” (pour reprendre le mot d'Adorno), Eich est aux prises avec un langage qui a perdu son innocence et cherche péniblement à rétablir son accord avec un monde dont l'harmonie a été définitivement troublée par la tourmente. Lorsque lui est décerné le prix Büchner en 1959, Eich réfléchit sur les rapports de la langue et du pouvoir. La poésie ne se justifie plus pour lui que comme résistance, comme questionnement. Le poème Fin d'un été (Ende eines Sommers) fut écrit en 1949 ; il montre que, dès l'après-guerre, le temps signifie pour Eich la déchéance, et que l'éternité consolante d'une harmonie naturelle est refusée à l'homme. Dès lors, les structures du lyrisme éclatent : Hölderlin rime avec urine (Latrine), l'inventaire de la réalité, de toute la réalité, inclut l'ignoble et le choquant. Au fur et à mesure que régressent les ressorts formels du lyrisme, les allitérations, ou les rimes notamment, dès lors destinés à briser l'harmonie et non à l'instaurer, la méfiance se tourne vers la langue elle-même :
Chercher le signe au lieu de la métaphore et donc chercher le seul lieu où tu sois toujours. (Fortsetzung des Gesprächs).
La relation du poète à la réalité (L'Écrivain face à la réalité, Vézelay, 1956) se radicalise sous la forme du doute méthodique envers les matériaux linguistiques. Les mots et les formules isolées, les “et”, coordonnant des significations volontairement hétérogènes, sont autant de provocations lancées au langage. Et si Eich pouvait encore, vers 1955, “se trouver dans la situation de l'enfant qui dit arbre, lune, montagne et qui s'oriente...” (Points trigonométriques, 1955), il est devenu rapidement celui qui pose les mots comme des pierres[...]
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Écrit par
- Gérard RAULET : professeur à l'université Paris-Sorbonne
Classification
Autres références
-
GROUPE 47
- Écrit par Pierre GIRAUD
- 2 698 mots
- 1 média
...particulièrement frappante dans le célèbre poème intitulé Inventur (« Inventaire ») de celui qui devait être le premier lauréat du Groupe 47 : Günter Eich. Durant douze ans, la langue allemande avait été un instrument de coercition tel qu'il fallait s'en libérer et revenir à une sorte d'abécédaire...