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VAN SANT GUS (1952- )

De l’adolescence à la responsabilité

Mala Noche, primé par le Los Angeles Film Critics, et Drugstore Cowboy (1989) vont faire de Gus Van Sant une vedette du cinéma indépendant et de la contre-culture. Dans ce dernier film, Matt Dillon (vedette de Outsiders et Rusty James de F. F. Coppola) interprète son premier rôle d’adulte dans un road movie quasi documentaire d’une lucidité inédite sur le monde de junkies, dans lequel William Burroughs joue un rôle de prêtre défroqué, toxicomane et philosophe. Drugstore Cowboy a parfois été comparé abusivement à Bonnie and Clyde d’Arthur Penn (1967). Bob (M. Dillon) et Diane (Kelly Lynch) braquent des drugstores de Portland à la recherche de n’importe quel succédané d’héroïne. Le film laisse entendre que l’on peut se droguer par et avec plaisir, mais que cela ne supprime pas l’angoisse. Cette manière d’envisager la drogue à la fois avec sérieux et ironie favorise le succès du film. Aucune révolte, politique ou autre, ne vient justifier la dérive des héros, même si Bob choisit en fin de compte de sortir de la dépendance.

Autre road movie, My Own Private Idaho (1991) est centré sur le parcours d’un homosexuel narcoleptique, Mike (River Phoenix), et sur ses relations avec un jeune homme de bonne famille, Scott (Keanu Reeves), qui l’accompagne un temps dans la recherche de sa mère. Scott est fasciné par la beauté de Mike avant de tomber amoureux d’une jeune Italienne. Par haine de son père, il a choisi de vivre en marge de la bourgeoisie dont il est issu. Mais une fois l’âge adulte atteint, avec la mort et l’héritage du père, il renonce au monde de l’adolescence et de l’irresponsabilité, abandonnant Mike et sa bande d’amis (comme le Henry V de Shakespeare, qui le fascine). Pas plus que dans ses films précédents, Gus Van Sant ne propose une vision réaliste ou sociale de l’Amérique des années 1980-1990. Ses personnages et ses films évoluent dans l’état de lucidité, simultanément naissante et refusée, de l’adolescence. L’écriture du cinéaste découle de cet intérêt : un mixte de réalisme relatif et d’images délibérément mentales (les apparitions de la mère) ou plutôt affectives, voire infantiles et ludiques (les nuages en accéléré, qui marqueront des cinéastes comme Terrence Malick ou Jeff Nichols). Le tempo du film est lui-même tributaire de la maladie de Mike : chronologie chaotique rythmée par les crises de narcolepsie, leurs causes affectives et ce qu’elles font surgir du passé ou de l’imaginaire de l’adolescent perturbé. River Phoenix, qui reçoit le prix d’interprétation masculine au festival de Venise 1991, mourra d’une overdose deux ans plus tard.

Après l’échec commercial total que connaît la comédie burlesque Even Cowgirls Get the Blues (1993), Gus Van Sant accepte une commande de la part d’un grand studio (la Columbia). To Die For (Prête à tout, 1995) est destiné à mettre en valeur les talents de la jeune Nicole Kidman. C’est le portrait d’une provinciale dont le but est de devenir à n’importe quel prix – meurtre compris – une star du journalisme télévisuel. Gus Van Sant filme ce récit très sophistiqué comme un reportage, avec un regard froid et neutre annonçant celui d’Elephant. Il se limite à décrire ce monde cathodique narcissique, fascinant et scintillant : il lui suffit de rester à la surface des sentiments et des images, puisque cet univers télévisuel est sans profondeur, sans arrière-plan ni sous-texte. Le résultat escompté est atteint : Nicole Kidman reçoit un Golden Globe pour son interprétation et Gus Van Sant entre dans la catégorie des réalisateurs commerciaux de renommée internationale.

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Autres références

  • ELEPHANT (G. Van Sant)

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    • 1 019 mots

    Réalisateur singulier, Gus Van Sant débuta au milieu des années 1980, avec des films longtemps restés inédits en France (MalaNoche, 1985). Également peintre, musicien et photographe, il a élu domicile à Portland, dans l'Oregon. C'est dans cette ville qu'il situe l'action de la plupart de ses films....

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Le théâtre et le cinéma

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    • 9 328 mots
    • 11 médias
    Bien plus surprenantes sont les différences que l'on perçoit dans les œuvres deGus Van Sant, entre des films aussi remarquables que My Own Private Idaho (1991) ou Prête à tout (1995), qui impose la star Nicole Kidman, et Psycho (1998), un remake aussi navrant qu'inutile du film d'Hitchcock. Arrive...