MAHLER GUSTAV (1860-1911)
À la fois héritier du romantisme allemand et source de la musique d'aujourd'hui, Mahler fut très tôt accusé de modernisme outrancier et de sentimentalité désuète. Juif surgi « sans crier gare » de « quelque part en Bohême », comme à la même époque Freud ou Kafka, à la fois grand chef d'orchestre et grand compositeur, il se consacra presque exclusivement au lied et à la symphonie, unissant ces deux genres par des liens très étroits, tout en menant à terme celui de la symphonie viennoise jadis créé par Haydn. Il fut l'un des principaux maîtres à penser d'Arnold Schönberg et de ses disciples Alban Berg et Anton Webern.
Les œuvres de jeunesse
Mésentente des parents, drames familiaux, marches et sonneries militaires, chants populaires, passion pour la littérature marquent Mahler jeune, et marqueront plus tard sa musique. Gustav Mahler naît le 7 juillet 1860 à Kaliště, petit village de Bohême non loin de la frontière de Moravie, dans une famille israélite de langue allemande. Son père est aubergiste. Après trois années (1875-1878) passées au conservatoire de Vienne, où son caractère entier se manifeste déjà et où il a comme condisciple Hugo Wolf, il commence en 1880 sa double carrière de chef d'orchestre et de compositeur. Jusqu'en 1888, il occupe successivement des postes à Bad Hall, ville d'eau de Haute-Autriche (1880), à Laibach (aujourd'hui Ljubljana, 1881-1882), à Olmütz (aujourd'hui Olomouc, 1883), à Kassel (1883-1885), à Prague (1885-1886) et à Leipzig (1886-1888).
La plupart des œuvres composées par Mahler jusque vers l'âge de vingt-trois ans sont perdues ou détruites. Du 5 mars 1880 est daté le lied Hans und Grete, composé avec deux autres lieder et la cantate Das klagende Lied pour une jeune fille passionnément aimée du nom de Joséphine Poisl. Das klagende Lied (Le Dit de la plainte), cantate pour soli, chœurs et orchestre, est la première œuvre importante à avoir survécu ; soumise plus tard à révision, elle date bien pour l'essentiel de 1880. Mahler ne put la faire jouer qu'en 1901, mais, en 1881, il la présenta à un jury, et Brahms, qui en faisait partie, la rejeta avec horreur. L'argument avait pourtant de quoi séduire : il s'agissait d'une légende moyenâgeuse proche de certains contes de Grimm, de celles qui avaient constitué l'univers des premiers écrivains et compositeurs romantiques allemands. Mais dans cette œuvre, une des plus personnelles écrites par un compositeur aussi jeune, on trouve déjà tout Mahler : ses côtés poétiques et pittoresques mais aussi profondément inquiétants, des mélodies avenantes entonnées par les cors mais aussi des rythmes de marche venant les briser. Das klagende Lied rend hommage au fantastique et au grotesque, et rappelle que Mahler était un lecteur assidu de E. T. A. Hoffmann. On entend, aux moments les plus dramatiques de cette histoire de meurtre, une sorte d'orphéon : cette première intervention, chez Mahler, d'un instrument de « bas étage » porte une atteinte sérieuse à la respectabilité et à la bienséance en musique, qui choqua certainement.
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Écrit par
- Marc VIGNAL : musicologue, journaliste
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