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RAU GUSTAV (1922-2002)

Né à Stuttgart en 1922, le collectionneur et mécène allemand Gustav Rau appartenait à une puissante famille d'industriels. Il hérita de l'entreprise familiale, sans grand goût pour le développement technique en matière automobile, mais attendit 1972 pour vendre sa firme – pour 400 millions de deutsche Mark – et pour se consacrer à ses deux vraies passions : l'enfance malheureuse et les œuvres d'art. Il s'installa au Nigeria et dans l'actuelle République démocratique du Congo, où il fonda, à Bukavu, une école-hôpital d'un type nouveau, car il avait compris que l'accès à l'instruction et à de meilleurs soins hospitaliers allaient de pair.

Gustav Rau menait alors une double vie, propre à stimuler les imaginations. On le voyait à Monaco, où il résida, à Londres, à New York ou à Paris : en un temps où la constitution de grandes collections d'art était un luxe qui semblait appartenir à d'autres époques, où le marché était au plus haut, il parvint à rejoindre le cercle prestigieux des Thyssen, Oskar Reinhart ou Beyeler. Sa méthode se fondait sur la discrétion et des achats dictés par son goût et les possibilités du marché : Picasso ne lui plaisait pas, Van Gogh était devenu hors de portée. Il acquit donc, avec un éclectisme total, en premier lieu des « maîtres anciens », comme disent les catalogues de vente, et quelques grands ancêtres de la modernité, de Derain à Alexej von Jawlensky. Pas de villa somptueuse, pas de galeries ouvertes à la visite : la collection Rau demeura longtemps l'une des plus secrètes du monde, entreposée au port franc d'Embrach près de Zurich, ville où se trouve le siège de la Fondation Rau pour le Tiers Monde.

Sept cent quarante-trois œuvres ont été réunies par Rau au cours des vingt dernières années, parmi lesquelles des panneaux de Fra Angelico, un paysage de Salomon Van Ruysdael, des œuvres de Philippe de Champaigne, Fragonard, Boucher, Hubert Robert et Élisabeth Vigée Le Brun, enfin des œuvres de l'École allemande, de Lucas Cranach l'Ancien à un superbe portrait d'Anton Graff, peintre ami de Goethe. Le xixe siècle français est sans conteste le point fort de la collection Rau : L'Algérienne de Corot, La Bacchante de Courbet, le Pêcheur à l'épervier de Bazille qui serait parfait dans les collections du musée d'Orsay, plusieurs Monet dont le superbe Pyramides de Port-Coton. Gustav Rau n'a pas réuni uniquement des « noms » : il était capable d'acheter l'effigie anonyme d'une vieille domestique, superbe toile du xviie siècle, qui satisfaisait son goût pour l'art du portrait.

Pendant longtemps, le nom de Rau n'est pas sorti du cercle étroit des amateurs et des collectionneurs très fortunés. Presque par surprise, en 2000, Gustav Rau, que l'on dit alors malade, commence à montrer sa collection : Paris, au musée du Luxembourg – galerie dépendant du Sénat, qui souhaitait depuis longtemps développer une vie culturelle et une politique d'expositions retentissantes –, Cologne, Munich, Bergame sont les étapes de ce « tour » dont la presse, unanime, salue le succès. Premier coup de théâtre : les héritiers de Gaston et Josse Bernheim réclament la toile de Cézanne La Mer à l'Estaque, tableau de 1876, dont leurs ancêtres auraient été spoliés par les nazis lors de la séquestration de la galerie Bernheim. La bonne foi de Gustav Rau n'est nullement mise en cause, mais la décision de police affichée au musée du Luxembourg à côté du cartel explicatif, sous le tableau, projette un parfum de scandale sur l'exposition parisienne. Le devenir de l'ensemble des peintures semble problématique. Rau a en effet créé quatre fondations – une architecture complexe, sans doute montée avec ses conseillers fiscaux. En 1998, un tribunal monégasque aurait constaté[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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