FECHNER GUSTAV THEODOR (1801-1887)
L'inventeur de la psychophysique, Fechner — un des penseurs qui marquèrent le plus l'Allemagne au xixe siècle — est à bien des égards l'héritier de la philosophie de la nature. Encore étudiant, il lit avec enthousiasme les œuvres de Schelling et d'Oken. Il en retient l'idée « que la nature culmine dans une unité et qu'elle est pénétrée par un principe spirituel ». Pourtant il préfère d'abord, loin de la spéculation, s'engager dans la voie plus austère de la science.
Durant vingt ans, de 1820 à 1840, il se consacre à la recherche expérimentale, collabore avec Ohm, traduit les grands traités de Biot et de Thénard, limitant son inspiration personnelle à de petits écrits, pleins d'humour et d'ironie, publiés sous le pseudonyme de Dr. Mises (réunis en 1875 sous le titre de Kleine Schriften). En 1838-1840, des expériences originales sur la perception des couleurs préfigurent ce qui va devenir la psychophysique. L'année 1840 fait coupure : elle ouvre une crise grave qui dure trois ans. Sourdement annoncée par un livre publié en 1836, Das Büchlein vom Leben nach dem Tode (Le Petit Livre de la vie après la mort), cette crise plonge Fechner dans un état proche du désespoir. Quand il en sort, comme au terme d'une catharsis, c'est avec une énergie nouvelle. Tout s'ordonne désormais autour d'une certitude qui renoue, par-delà la philosophie de la nature, avec les intuitions d'un Giordano Bruno : la nature est habitée par le divin, et c'est ce qui donne à chaque corps vivant sa consistance. Cette vision qui s'élargit jusqu'à l'univers est chez Fechner avant tout une philosophie du corps, qui plonge ses racines dans l'expérience limite de la crise.
En 1848, Nanna, oder über das Seelenleben der Pflanzen (Nanna, ou la Vie sensible des plantes) développe l'idée d'une sensibilité inhérente à toute vie, et cependant particulière à chaque forme vivante. En 1851, Zendavesta, oder über die Dinge des Himmels und des Jenseits (Zendavesta ou des choses du ciel et de l'au-delà) généralise la thèse d'une nature vivante et animée. On y trouve le premier énoncé du principe mathématique de la psychophysique : l'idée d'une psychologie mathématique est, en effet, pour Fechner, inséparable d'une analyse générale du corps comme totalité organique. En 1860, les Elemente der Psychophysik (Éléments de psychophysique) exposent les principes d'une « théorie exacte des relations entre le corps et l'âme [...] fondée sur l'expérience et sur la liaison mathématique des faits expérimentaux ». Il s'agit d'établir un modèle formel qui, laissant de côté la question métaphysique, définisse une fonction, au sens mathématique du terme, entre le physique et le psychique pris comme phénomènes. Cette fonction, rapportée à la loi de Weber, se caractérise par les seuils où elle s'annule. L'élaboration de la notion de seuil est un des points les plus féconds du modèle fechnérien, qui bouleverse le sensualisme associationniste.
Fechner, jusqu'à sa mort, n'a cessé de défendre sa conception de la psychophysique : In Sachen der Psychophysik, 1877 (Pour la psychophysique), Revision der Hauptpunkte der Psychophysik, 1882 (Révision des points fondamentaux de la psychophysique), lui donnant l'appui de nouvelles expériences sur la fonction des organes doubles dans la vision et dans l'audition, puis sur la perception de l'espace et du temps. Il la prolonge, en outre, dans le domaine de l'esthétique avec Zur experimentellen Ästhetik, 1871 (Pour une esthétique expérimentale), et Vorschule der Ästhetik, 1876 (Cours préparatoire d'esthétique), titre repris de Jean-Paul.
Cependant, Fechner n'abandonne pas la métaphysique ni la philosophie des sciences. Dès 1861, Über[...]
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Écrit par
- Claude RABANT : philosophe, psychanalyste, ancien élève de l'École normale supérieure
Classification
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