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CAILLEBOTTE GUSTAVE (1848-1894)

Un peintre de la vie moderne

Dans un café (1880) traite un des sujets les plus caractéristiques de l'art moderne, défendu désormais par des critiques importants, mais dans un esprit de surenchère du procédé optique qui isole la figure équivoque placée au premier plan. Là où Manet avait disposé des amis dans un joyeux désordre et Degas représenté le graveur Marcellin Desboutin, figure par excellence de la bohème aristocratique, Caillebotte place un visage anonyme et sans joie évoquant, pour Joris-Karl Huysmans, « un pilier d'estaminet », bien que le décor signale plutôt un établissement distingué.

En 1879-1880, dans un autoportrait ambitieux, Gustave Caillebotte choisit de se représenter lui-même face au miroir qui capte le geste du peintre. En arrière-plan, il inverse la composition du Bal du moulin de la Galette de son ami Renoir, acheté l'année de son exposition en 1877 et accroché avec conviction dans l'atelier en attendant qu'il rejoigne la cimaise du musée.

Le peintre fait également varier les points de vue en représentant la rue Halévy depuis un sixième étage, sous les toits, ou le boulevard Haussmann sous la neige. Vue prise à travers un balcon (1880) décale délibérément le regard afin que le motif secondaire de la ferronnerie devienne le motif principal découpant comme un puzzle la vue plongeante sur la rue. Dans le même esprit de découverte d'un univers sans horizon, Un refuge boulevard Haussmann devient le lieu géométrique d'une sorte de cosmos urbain ouvert, parcouru par de rares présences en mouvement vouées à la dispersion. Quand Boulevard vu d'en haut fut exposé en 1882, Caillebotte était devenu, selon Ernest Chesneau, l'« ami des perspectives curieuses ». Des photographes de la réalité moderne sauront les reprendre quarante ans plus tard dans un tout autre contexte.

Le peintre se montre novateur dans le domaine du portrait, en donnant à ses modèles des attitudes qui vont de la réserve la plus impassible à la connivence intime en passant par une forme d'humour. Ses natures mortes remarquables ont également transformé les règles du genre en donnant aux choses le statut de marchandises soumises à la vue comme sur un étal. Le nu masculin et féminin, qui fit également l'objet d'une exigence de vérité à la manière de Degas, signale à la fois son ambition et ses limites.

Gustave Caillebotte a vu se défaire malgré lui l'impressionnisme de ses débuts. Il ne participe pas à la dernière exposition du groupe en 1886, continuant à peindre à Argenteuil et en Normandie les motifs qui ont décidé de sa vocation. En 1892, il donne encore à une réalité contemporaine, celle du linge séchant au bord de la Seine, une surprenante étrangeté. Caillebotte, dont la peinture semblait s'interdire toute séduction facile, fut l'inventeur d'un impressionnisme qui ne pouvait être pleinement révélé que par une forme d'audace devant l'évidence du monde moderne. Entre des raboteurs de parquets et des chemises gonflées par le vent, il a mis au jour une forme du visible sur laquelle un peintre contemporain de Monet, Renoir, Degas, Pissarro, Cézanne pensait avoir prise. Plus qu'un autre, il nous dit ce que fut, au plus près de la banalité du réel, l'utopie de l'impressionnisme.

— Éric DARRAGON

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Écrit par

  • : professeur émérite d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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Médias

<it>Le Pont de l'Europe</it>, G. Caillebotte - crédits :  Bridgeman Images

Le Pont de l'Europe, G. Caillebotte

<em>Périssoires</em>, G. Caillebotte - crédits : Leemage/ Corbis/ Getty Images

Périssoires, G. Caillebotte

Autres références

  • IMPRESSIONNISME

    • Écrit par
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    • 32 médias
    ...qui ne s'améliorera point, que partager les infortunes de ses camarades accablés de charges, tel Monet qui s'est marié. Ceux-là, leurs compagnons les plus aisés les aident, et aussi quelques premiers, très rares, amateurs,Caillebotte, Chocquet, le Dr de Bellio, le baryton Faure, le pâtissier Murer.
  • LE DÉCOR IMPRESSIONNISTE. AUX SOURCES DES NYMPHÉAS (exposition)

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    • 1 153 mots
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    ...corps nus, matité empruntée à la fresque, format horizontal). La salle suivante, « Fleurs et jardins », démontrait avant tout l’appétit remarquable de Caillebotte pour le décor avec le saisissant Parterre de marguerites (vers 1892-1893), traité avant l’heure selon la technique de l'all-over ...