DORÉ GUSTAVE (1832-1883)
L'art du noir et blanc connut au xixe siècle, avec le sentiment romantique du fantastique et la renaissance de la gravure, un épanouissement remarquable. L'un des plus grands maîtres du genre est le dessinateur et graveur français Gustave Doré. Popularisé par le livre, son style déploie dans une veine épique, tragique et comique, des prodiges d'imagination, les ressources intarissables d'un rêve intérieur. Pourtant, ses plus lyriques inventions, ses effets saisissants de monumentalité et de vertige qui l'ont rendu célèbre, ont pour origine commune le souvenir de son Alsace natale. C'est, de son propre aveu, l'atmosphère pénétrante des montagnes vosgiennes, de la Forêt-Noire et du gothique strasbourgeois qui détermina la sensibilité de son inspiration. Tous les témoignages concordent pour le décrire dessinant dès son plus jeune âge. Il a quinze ans et n'a suivi aucun cours de dessin lorsque paraît son album de lithographies satiriques Les Travaux d'Hercule, aux éditions Aubert. Ainsi introduit auprès de Charles Philipon, il se voit engagé, l'année suivante, au Journal pour rire, et, tout en poursuivant ses études de lycéen à Paris, il y donnera pendant trois ans des séries de charges spirituelles dont le style graphique se cherche encore. À vingt ans, il aborde avec une rapide maestria l'illustration de livres à laquelle son nom reste aujourd'hui attaché. C'est, notamment, le Rabelais de 1853, son premier ouvrage qui ait fait sensation, et Les Contes drolatiques de Balzac (1855), qui demeurent un chef-d'œuvre accompli de rencontre entre le texte et l'image. Il en sera de même pour le poème long et complexe de Dante, La Divine Comédie, sa première très grande entreprise, à caractère purement dramatique et fantastique (1861-1868), ainsi que pour la Bible (1864), de la même encre ambitieuse.
Mais si le succès d'édition de telles réalisations fut immense et lui procura fortune et célébrité, l'esprit irrationnel de ses visions audacieuses déconcerta parfois ses contemporains. L'artiste s'éloigne du texte pour emprunter le cours d'une expression intense et tumultueuse où dominent les contrastes, où se perdent les détails. On a pu l'accuser de faiblesse ; pour une recherche primordiale d'atmosphère, il ne sut pas toujours éviter l'écueil de la trop forte densité ou, à son opposé, celui du flou, de l'imprécision du rendu exact des choses. Mais, parmi plus de cent volumes illustrés par lui, de l'Atala de Chateaubriand (1862) au Roland furieux de l'Arioste (1878), en passant par Les Aventures du baron de Münchhausen(1856), les Contes de Perrault (1862), le Don Quichotte de Cervantes (1863), le Londres de Louis Énault (1876), les réussites visuelles abondent. C'était alors, il est vrai, le temps des naturalistes et non plus celui des romantiques dont il relève indiscutablement encore, mais avec une magistrale indépendance. Intuitif et original dans son style, ambitieux dans ses vues, il fut absolument indépendant. Il imposa le grand format in-folio, rarement pratiqué, mais dont l'ampleur s'accordait à ses projets, servait son goût des grandes compositions ; c'est à lui aussi que la technique de la gravure sur bois, remise à l'honneur vers 1850, doit sa dernière et l'une de ses plus riches utilisations depuis le xvie siècle. Pour mener à bien son énorme production, il avait formé une équipe de collaborateurs, éminents praticiens puisqu'ils devaient graver, sous sa surveillance, l'esquisse faite à la plume et au lavis directement sur la planche de poirier ou de buis et sans le moindre dessin préalable. À partir du Don Quichotte, Gustave Doré eut recours au report photographique de l'esquisse dont il soulignait avec soin, au pinceau, ses fameux effets lumineux qui modèlent les figures[...]
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Écrit par
- Bernard PUIG CASTAING : historien de l'art
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