GUSTAVE LE GRAY, PHOTOGRAPHE (exposition)
Figure emblématique du succès remporté par la photographie ancienne à la fin du xxe siècle, Gustave Le Gray (1820-1884) est un phénomène culturel. Réalisée dans le contexte de l'érudition américaine des années 1980, la première rétrospective de l'œuvre de ce « primitif » de la photographie (Art Institute de Chicago, 1987) témoignait de l'engouement pour les inventeurs du calotype ce premier procédé négatif/positif sur papier et de la montée en puissance de la valeur de ces nouveaux objets de collection. Quelque dix ans plus tard, à l'occasion de la première vente de la collection Jammes chez Sotheby's à Londres (1999), la célèbre Grande Vague de Le Gray atteignait des sommets : 5 millions de francs (près de 770 000 euros). Il ne manquait donc plus à l'artiste, après l'intérêt des collectionneurs et la sanction du marché, qu'une reconnaissance nationale. C'était chose faite avec la rétrospective, à Paris, de la Bibliothèque nationale de France (19 mars-16 juin 2002) présentée ensuite au J. Paul Getty Museum de Los Angeles, et le volumineux catalogue dirigé par Sylvie Aubenas, conservatrice en chef au département des Estampes et de la Photographie (B.N.F.).
L'exposition réunissait plus de deux cents épreuves de Le Gray, ainsi qu'une vingtaine de photographies de contemporains (Olympe Aguado, Mestral, Adrien Tournachon, Charles Nègre...) venant clore le parcours de la manifestation et mettant en lumière l'originalité de l'artiste. Il s'agissait en effet de retracer, chronologiquement, l'histoire et la production d'un artiste et non celles d'un opérateur simplement talentueux. L'enchaînement des salles aménagées dans la galerie Mansart de la Bibliothèque nationale (site Richelieu), d'une élégante sobriété, permettait au visiteur de suivre à la fois l'évolution technique de Le Gray, passé du daguerréotype au calotype puis à l'emploi de plaques au collodion, les étapes cruciales de son existence (formation comme peintre, fondation de la Société héliographique puis de la Société française de photographie, participation à la Mission héliographique en 1851, départ pour l'Orient, en 1860, au côté d'Alexandre Dumas, abandon d'une situation financière intenable en France après la faillite de la société Gustave Le Gray et Cie, abandon de la famille et installation au Caire) et les grands axes de son inspiration iconographique (portraits, nus, monuments, études et paysages, marines, l'Orient...).
Élève de Paul Delaroche, le peintre, dont aucun tableau n'a encore été identifié, est donc devenu un symbole de ces « maîtres de la photographie » : inventeur du négatif sur papier ciré sec, expérimentateur et divulgateur de la photographie sur verre, enseignant dans son atelier au 7, Chemin-de-Ronde de la barrière de Clichy, entrepreneur désireux de se lancer dans l'imprimerie photographique, c'est peu dire que ce « peintre d'histoire », tel qu'il figurait dans le Bottin de 1857 à 1859, est devenu un photographe au sens plein du terme. La contribution esthétique de Le Gray est considérable, son sens de la composition, hérité de sa formation, se marie aux spécificités de la visée et du cadrage de la chambre photographique, mais surtout est remarquable l'attention qu'il porte au rendu des épreuves. Car le corpus de Le Gray ne reflète finalement que celui des genres alors en vogue, à mi-chemin de l'académisme et du naturalisme. Son style et son inventivité technique lui auront permis de convertir la culture d'un peintre moderne en une expérience esthétique inédite. Trop près de la peinture, l'œuvre de Le Gray ? Peut-être sur le plan strictement iconographique, mais il faut insister, comme le fait justement Sylvie Aubenas, sur le caractère scientifique du parcours de Le Gray. Si l'entrepreneur a été malchanceux – tout comme le peintre de Salon[...]
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Écrit par
- Michel POIVERT : maître de conférences, docteur en histoire de l'art
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