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SINGIER GUSTAVE (1909-1984)

La mort de Gustave Singier, le 5 mai 1984, est venue rappeler la vitalité et l'éclat qu'ont eus, de la Libération aux années 1960, les diverses tendances de la peinture abstraite s'épanouissant à Paris. Occultées aujourd'hui, non seulement par les divers néo-réalismes, néo-dadaïsmes, ou néo-fauvismes qui leur ont succédé tour à tour en position « d'avant-garde », mais plus encore par l'attitude des peintres abstraits de la génération suivante qui, généralement, les négligèrent pour prendre racine du côté des grands abstraits américains enfin reconnus à Paris, ces œuvres attendent toujours les études critiques indispensables. La mort prématurée de Pollock, Kline, Rothko ou Newman a certainement hâté la mise en perspective de leurs apports, mais ce n'est pas seulement parce que la plupart des abstraits français de la même génération poursuivent leur travail qu'ils n'ont pas retrouvé l'attention des spécialistes, ni des jeunes peintres ; c'est plutôt pour avoir été plus célébrés que compris, en même temps qu'utilisés malgré eux comme repoussoir contre l'offensive inévitablement victorieuse alors de l'art et du marché américains. Si quelques grands noms, pourtant, demeurent très vivants, on a perdu de vue beaucoup d'œuvres parfaitement abouties, comme celle de Gustave Singier.

Gustave Singier, né en Belgique en 1909, avait dix ans lorsque son père vint exercer à Paris son métier d'ébéniste. Après avoir suivi l'enseignement de l'école Boulle, il travaille comme dessinateur chez un décorateur, peignant solitairement. Sa rencontre avec l'expressionniste Walch l'amène, à partir de 1936, à exposer régulièrement dans les Salons. En 1941, il participe, aux côtés de Bazaine, Estève, Lapicque, Le Moal, Manessier, Pignon..., à la fameuse exposition « Jeunes Peintres de tradition française ». Ces artistes seront les vedettes — avec Picasso — du Salon d'automne à la Libération, puis les fondateurs du Salon de mai (dont Singier restera un des principaux animateurs) qui reçut alors le parrainage, année après année, de tous les maîtres de la peinture moderne : Picasso, Matisse, Léger, Braque. Entré à la célèbre galerie Drouin (Dubuffet, Fautrier, Manessier, Wols) puis à la galerie de France (Hartung, Manessier, Soulages, Zao Wou-Ki), Singier sera une figure très en vue de l'abstraction. À côté de ses toiles, aquarelles, dessins et estampes, il réalise des œuvres monumentales : vitraux, tapisseries, décorations murales, et de nombreux décors de théâtre, notamment pour le T.N.P. (Théâtre national populaire). André Malraux, qui voulait introduire l'art moderne à l'École des beaux-arts, le nomma en 1967 à la tête de l'atelier qui avait été celui de Gustave Moreau.

Après avoir été dans les années 1940 partie prenante du courant créé par Lapicque, qui conciliait la conception cubiste de l'espace avec le colorisme de Bonnard ou de Matisse, Singier s'était orienté comme ses amis vers une peinture non figurative, mais dans une direction tout à fait originale, qui le tenait aussi éloigné de l'impressionnisme abstrait (Bazaine) que du lyrisme abstrait (Manessier) ou de l'abstraction radicalement non référentielle (Hartung, Soulages). Dans les années 1950, sa période de plus grand achèvement, Singier proposait une peinture qu'il rattachait à Klee et qui fait penser aussi à Miró et parfois au dernier Kandinsky, d'où toute effusion, tout pathos sont exclus au profit d'une fantaisie imaginative que traduit un graphisme très épuré et souvent humoristique organisant subtilement des surfaces d'une belle matière à la flamande, monochrome mais travaillée en champs de valeurs modulées (Les Oliviers et la mer, 1948 ; Ciel et mer, 1956 ; Méridienne agitée, 1961).[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris

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