BÉCQUER GUSTAVO ADOLFO (1836-1870)
Avec Rosalía Castro, Bécquer représente, dans la seconde moitié du xixe siècle, la modalité épurée et intimiste du romantisme poétique. L'intensité, la délicatesse et la profondeur de ses poésies sont à l'origine d'un renouvellement du lyrisme en Espagne. À travers la somptueuse orchestration et la luxuriance superbe du modernisme selon Rubén Darío, les tonalités en sourdine et les accents meurtris de Bécquer ont trouvé leur écho chez Antonio Machado et Juan Ramón Jiménez. Les poètes de la « génération de 1927 » ont aussi reconnu en lui un virtuose de l'« alchimie verbale ».
Un destin brisé
Bécquer naquit à Séville, le 27 février 1836. De son père, José Domingo Insausti y Bécquer, peintre médiocre, il garda le nom de Bécquer à cause de sa consonance nordique. De nombreux drames marquèrent son existence et accentuèrent les aspects fébriles et passionnés de son tempérament. Il n'avait pas dix ans quand il devint orphelin. Sa marraine se chargea de son éducation et de celle de ses frères. Après avoir suivi quelque temps les classes du collège San Telmo, il entra, à quatorze ans, dans l'atelier de peinture d'Antonio Cabral Bejarano, puis dans celui de son oncle Joaquín Domínguez Bécquer. Cette éducation artistique laissera en lui une empreinte indélébile. Son frère Valeriano Domínguez Bécquer (1834-1870), auquel il fut très attaché, réussit à se faire un nom en peinture. (On peut voir des toiles de lui – surtout des scènes de genre – au musée d'Art moderne de Madrid.) Gustavo Adolfo, attiré par la littérature, se rend à Madrid en 1854 ; son frère l'y rejoint l'année suivante. Il se tourne d'abord vers le journalisme. Après avoir dirigé un journal éphémère, El Mundo, il entre à la rédaction d'El Porvenir, qui n'a pas plus de succès. Avec quelques amis, il fonde une revue, España artística y literaria, qui n'eut aussi qu'une brève existence. Il obtient un modeste emploi de bureau à la Direction des biens nationaux. Surpris en train de dessiner, il en est renvoyé.
Pour subsister, il avait aussi écrit, en collaboration, des pièces de théâtre et des livrets d'opérette. Mais une sorte de fatalité semble entraver tous ses projets. Bécquer célèbre la « paresse », cette « divinité céleste » : « Je l'ai vue souvent flotter sur moi et m'arracher au monde de l'activité où je me trouve si mal. » Un projet pourtant l'enthousiasme : sous l'influence du Génie du christianisme de Chateaubriand, il veut écrire l'histoire, luxueusement illustrée, des monuments religieux d'Espagne. Les premiers chapitres de la Historia de los templos de España paraissent en 1857 et 1858. À ce goût pour les arts plastiques, Bécquer joignait un amour éperdu de la musique.
En juin 1858, apparaissent les premiers symptômes de la maladie qui devait l'emporter ; le pressentiment et l'obsession de la mort hantent d'ailleurs toute son œuvre. C'est à cette époque qu'il connaît Julia Espín, fille d'un professeur au Conservatoire, qui lui inspirera une brève et intense passion. En 1859, débute le grand amour tourmenté qu'il éprouva pour Elisa Guillén et dont l'histoire se reflète clairement dans ses Rimas. C'est pour elle, croit-on, qu'il écrira ses quatre Cartas literarias a una mujer (« Lettres littéraires pour une femme ») publiées en 1860 et 1861. Bécquer, de 1860 à 1864, fait partie de la rédaction d'El Contemporáneo. Il y publie plusieurs poésies, des récits légendaires et de nombreux articles. C'est aussi dans cette revue que furent publiées les célèbres Cartas desde mi celda (« Lettres de ma cellule »), écrites au monastère de Veruela, près de Tarazona, en Aragon, où le poète était venu prendre quelque repos. On y trouve d'admirables évocations[...]
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Écrit par
- Bernard SESÉ : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española
Classification
Autres références
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ESPAGNE (Arts et culture) - La littérature
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- 13 749 mots
- 4 médias
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