BUGAULT GUY (1917-2002)
Ce grand universitaire, qui enseigna à l'université de Paris-X-Nanterre puis à l'université de Paris-Sorbonne (Paris-IV) où il occupa la chaire de philosophie indienne et comparée, fut l'un des meilleurs spécialistes du bouddhisme du Grand Véhicule, de la littérature de la Prajñāparamitā et du grand dialecticien bouddhique Nāgārjuna, certainement le plus grand philosophe bouddhique et l'un des génies de la pensée universelle, dont il n'eut de cesse, sa vie durant, de commenter le chef-d'œuvre, Les Stances du milieu par excellence (Mūlamadhyamaka-kārikā) : sa traduction commentée est parue chez Gallimard en 2002. Les travaux de ce disciple d'Olivier Lacombe n'ont pas peu contribué à affiner et à renouveler notre compréhension de la nature même de cette « doctrine-médecine » et de cette « voie du milieu » qu'est le bouddhisme, et à éclairer en profondeur les paradoxes afférents à la voie bouddhique et à la notion de vacuité (shūnyāta) telle que conçue par le bouddhisme, paradoxes ressaisis par lui dans une perspective proprement philosophique, et non point simplement historico-critique ou érudite comme chez André Bareau. Son maître ouvrage a pour titre La Notion de Prajñā ou de Sapience selon les perspectives du Mahāyāna. Part de la connaissance et de l'inconnaissance dans l'anagogie bouddhique (Publications de l'Institut de civilisation indienne, no 32, De Boccard, 1968, réédité en 1982). Il est consacré à la nature paradoxale de l'intuition sapientielle (bodhi) et à son rôle dans l'économie des moyens de salut mis en œuvre par les deux grandes écoles bouddhiques du Madhyamaka et du Yogācāra-Vijñānavāda, ainsi qu'à l'usage contemplatif de l'intelligence distinctive et au clivage entre une pensée pourvue d'intentionalité (sālambana) et une pensée dépourvue d'intentionalité (nirālambana), clivage qui occupe une place décisive dans les théories indiennes de la connaissance. Comme le stipule une stance bouddhique de Rāhulabhadra qu'il aimait à citer, « La sagesse ne vient de nulle part,/La sagesse ne va nulle part./ Le sage, en tout lieu,/ La cherche, mais ne la trouve pas. »
Dans le recueil d'études L'Inde pense-t-elle ?, publié aux P.U.F. en 1994, sa réflexion s'intéresse au statut même de la philosophie indienne, à l'anthropologie indienne de la souffrance, à la notion indienne d'illusion cosmique (māyā), aux rapports de la rationalité et de la mystique dans le bouddhisme indien, aux rapports de la logique et de la dialectique, au fonctionnement des grands principes logiques (identité, contradiction, tiers exclu, raison suffisante) au sein de la dialectique bouddhique, aux rapports existant entre les deux vérités, la vérité mondaine et la vérité de sens ultime, telles que conçues par le bouddhisme. Guy Bugault est également l'auteur de nombreux articles et contributions à des ouvrages de référence (Histoire de la philosophie dans la Bibliothèque de la Pléiade, Dictionnaire des philosophes et Encyclopédie philosophique universelle aux P.U.F.). On ne sait ce qui l'emportait de la pénétration ou de la subtilité chez Guy Bugault : sous sa plume, toujours d'une parfaite limpidité, la subtilité des analyses allait de pair avec un art consommé des raccourcis fulgurants et des images suggestives. « C'est ainsi qu'il résumait l'idéal des bodhisattvaen trois mots : C'est tout à la fois perdre connaissance, prendre conscience, et enfin revenir au monde d'une connaissance par simple présence, transparente et sans limites – nirvāna, bodhi, sarvajñatā. »
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- François CHENET : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification