MAUPASSANT GUY DE (1850-1893)
La course à la production
Maupassant veut que le nom, légué par un père méprisé, devienne un autre, le sien, celui d'un écrivain célèbre ; il veut de l'argent, pour sortir de la pauvreté, puis pour le dépenser en plaisirs luxueux ; il veut gagner la faveur de toutes les femmes pour ne pas se marier ; il veut créer pour ne pas procréer. Il s'acharnera donc à écrire : en une douzaine d'années, quinze recueils de nouvelles, six romans, trois volumes de récits de voyage, deux pièces de théâtre et des centaines de chroniques. Tout cela au milieu d'une vie mondaine souvent tapageuse, au cours de voyages fréquents. Peut-être cette activité fiévreuse a-t-elle aussi pour cause le pressentiment d'une fin précoce : en janvier 1892, la puissante machine à vivre et à produire s'arrête, et, au terme d'une agonie de seize mois dans la maison de santé du Dr Blanche à Passy, Maupassant meurt de paralysie générale le 6 juillet 1893.
L'œuvre est marquée par les conditions de sa genèse. Elle se compose, pour sa plus grande partie, de morceaux de courte haleine qui, se ressemblant tous, forment une suite où il est difficile de percevoir une évolution. L'expression ne change guère et, malgré la richesse des matériaux anecdotiques, les mêmes thèmes reviennent toujours : l'impossibilité de la communication entre les hommes, l'amour malheureux d'êtres épris d'idéal et d'autres, prisonniers de leurs sens ; la désagrégation de la famille, la guerre, la folie, la mort et la critique impitoyable d'une humanité égoïste, bornée et hypocrite. D’Une vie aux Contes de la Bécasse (1883) en passant par Pierre et Jean (1888) ou Fort comme la mort (1889), les milieux sont aussi presque toujours identiques : la campagne normande, habitée par des paysans et des hobereaux, et Paris, où se côtoient, sans se connaître, de petits fonctionnaires, de grandes dames et des prostituées. Les personnages ne diffèrent que selon leur appartenance à une catégorie – riches, pauvres, nobles, bourgeois, paysans, mères de famille asexuées, femmes faciles, maris trompés, amants parasites... – et leurs tragédies banales ne suffisent pas pour les individualiser. Les récits s'accumulent ainsi en une série qui peut se prolonger à l'infini : la preuve en est le manque d'unité des recueils dont chacun contient la production des mois qui viennent de s'écouler.
Au cours des dernières années, surviennent, toutefois, de légers changements. Le mépris s'efface devant une compréhension mélancolique, la critique sociale perd de son importance pour laisser plus de place aux drames intérieurs de personnages situés, de préférence, dans les milieux mondains, et, conséquence probable de ces modifications, le roman tend à évincer la nouvelle. Le premier roman de Maupassant, Une vie (1883), biographie d'une femme mal mariée, est conçu encore sous l'influence immédiate de l'auteur de Madame Bovary. Dans Bel-Ami(1885), histoire de l'ascension d'un « grain de gredin », l'écrivain brosse un large tableau satirique de la société parisienne. Cependant, dans Mont-Oriol (1887), Pierre et Jean, Fort comme la mort (1889), Notre Cœur (1890), ce sont des cœurs ravagés que le romancier étudie avec une minutie qui semble vouloir rivaliser avec le psychologisme de Bourget.
Ces déplacements d'accent ou d'intérêt ne constituent, cependant, que des changements de manière. Le fond reste le même parce que, dans chacune de ses œuvres, Maupassant montre une des innombrables et peu différentes facettes d'un univers déterminé par une puissance unique qui – argent, amour ou nature – met fin à chaque histoire avec la même cruauté absolue et marque ainsi chacun du sceau d'un même désespoir. S'acharner à produire, c'est donc aussi vouloir accumuler des preuves contre un ennemi surhumain et[...]
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Écrit par
- Antonia FONYI : chargée de recherche au C.N.R.S.
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