MAUPASSANT GUY DE (1850-1893)
L'art de la nouvelle comme remède au désespoir et la série comme substitut de synthèse
La grande thèse de l'œuvre de Maupassant – l'espoir est un piège – se double d'une thèse intellectuelle – la logique est un piège – dont la démonstration exigera des récits comparables à des traités de désespoir raisonné. Au centre de chacun se trouve une contradiction – entre intention et résultat (Le Rosier de Madame Husson, Yvette), morale idéale et morale courante (L'Héritage, Les Bijoux), volonté et instincts (La Petite Roque, Le Horla), etc. –, autrement dit une structure logique qui, tout en accusant la fragilité des rapports de cause à effet, garantit, par sa symétrie, la solidité de la composition. Le genre que cette structure appelle est la nouvelle, non seulement parce que la logique y joue un rôle important, mais aussi parce que ce sont des rapports à deux termes – dont la contradiction – qui la fondent en tant que genre défini par son unité. Afin que l'effondrement de la logique apparaisse comme inévitable, la contradiction doit être poussée à l'absurde, d'où l'importance, dans la nouvelle de Maupassant, de la pointe, de l'effet de surprise provoqué par la confrontation de deux vérités qui s'annulent.
Argument majeur du pessimisme intellectuel, cette absurdité, cependant, se révèle être un remède contre le désespoir. Elle s'accompagne souvent d'un humour sceptique : « Il faut se hâter de rire des choses pour n'être pas forcé d'en pleurer » ; et, surtout, comme elle est liée à un cas d'espèce, elle permet de réintroduire l'élément individuel dans un système de catégories générales, et de ressusciter ainsi l'individu, ne serait-ce que pour la durée d'une nouvelle. Celle-ci, genre d'élection du doute, a, elle aussi, paradoxalement un effet rassurant : la rigueur de sa composition devient un moyen de maîtriser les désordres monstrueux causés par la fatalité aveugle qui gouverne l'univers de Maupassant et son unité, fondée sur la conscience des limites, s'oppose à la démesure de cette fatalité omniprésente.
Produire des nouvelles en série infinie équivaut donc à triompher, pour un instant, répété, du mal intérieur et du malheur universel. Éphémères victoires qui resteront cependant inscrites dans l'histoire littéraire : Maupassant a créé, par la production en série, un substitut de synthèse dans lequel se reconnaissent les époques qui ne peuvent se donner qu'une unité artificielle, celle de fragments juxtaposés, celle de phénomènes accumulés.
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Écrit par
- Antonia FONYI : chargée de recherche au C.N.R.S.
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