LIGETI GYÖRGY (1923-2006)
« Je m'imagine la musique comme quelque chose de très loin dans l'espace, qui existe depuis toujours, et qui existera toujours, et dont nous n'entendons qu'un petit fragment... »
En quelques mots, György Ligeti a résumé l'essentiel de ce qui constituait son travail de compositeur. Ses œuvres – dont on peut affirmer qu'elles marquent une étape décisive de la création musicale contemporaine – font la synthèse entre les recherches acoustiques les plus élaborées et un univers musical parfaitement traditionnel. C'est à partir de cette bipolarité tradition-modernité que Ligeti s'est forgé un langage « ambigu », n'appartenant à aucune catégorie répertoriable. Son écriture est harmonique sans être tonale ; atonale sans être sérielle ; véritablement animée d'un mouvement interne insaisissable, d'une vie au niveau des micro-éléments, autrement dit du détail.
Aussi ses œuvres se promènent-elles à travers le monde, douées d'un étonnant pouvoir de « radio-activité », au point que György Ligeti pourrait être un compositeur mutant venu d'un de ces « lointains » qu'il évoque parfois dans sa musique, pour nous parler d'un « ailleurs » unique et universel. Le résultat sonore est comparable à un dessin de notes animé par une vie foisonnante, infinitésimale, avec une multitude d'éléments indépendants qui se combinent, se superposent, se heurtent et finissent enfin par se rassembler en des espaces acoustiques d'une poésie et d'un rayonnement extrêmes.
La formation
Né le 28 mai 1923 dans la petite localité de Dicsőszentmárton (Transylvanie), autrefois hongroise, aujourd'hui Tîrnăveni, en Roumanie, György Ligeti partage ses études musicales entre le conservatoire de Kolozsvár – aujourd'hui Cluj-Napoca – (1941-1943) et l'Académie Franz-Liszt de Budapest (1945-1949). Son père, Sándor Ligeti, était directeur d'une filiale de banque roumaine dans une région de langues hongroise et allemande. Ses ancêtres étaient juifs, vivant à l'entour du lac Balaton, à l'ouest de la Hongrie, et en Bohême. Les Autrichiens imposaient alors la langue allemande, ce qui explique le nom de son grand-père paternel, Auer, et celui de son grand-père maternel, Schlesinger. Mais, à la fin du xixe siècle, lors de la magyarisation nationaliste, la plupart des juifs et des Allemands qui habitaient en Hongrie adoptèrent des noms hongrois. C'est ainsi que la famille Auer devint la famille Ligeti. Comme plusieurs artistes de sa génération, György Ligeti vécut difficilement la complexité de ses origines et le passage d'une identité culturelle à une autre : « Je suis né en Transylvanie et suis ressortissant roumain. Cependant, je ne parlais pas roumain dans mon enfance et mes parents n'étaient pas transylvaniens. [...] Ma langue maternelle est le hongrois, mais je ne suis pas un véritable Hongrois, car je suis juif. Mais, n'étant pas membre d'une communauté juive, je suis un juif assimilé. Je ne suis cependant pas tout à fait assimilé non plus, car je ne suis pas baptisé. »
L'année 1933 marquera une date fatidique dans sa vie, puisqu'il sera doublement haï, en tant que Hongrois par les Roumains (qui se souvenaient de leur discrimination par l'administration hongroise avant 1919), et en tant que juif.
Sa carrière en souffre d'autant plus que son père le destine à une profession scientifique, refusant dans un premier temps la véritable vocation de son fils. Lorsqu'il finit par céder, György a déjà quatorze ans. Ses dons ne tardent pas à se révéler et à s'affirmer grâce aux cours particuliers de piano qu'il reçoit (la famille Ligeti ne possède pas de piano). Il découvre alors l'univers harmonique des sons, leur organisation dans un espace structuré et tonal. Ses premières tentatives[...]
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Écrit par
- Danielle COHEN-LÉVINAS : musicologue, enseignant, directeur de recherche au C.N.R.S.
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Média
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