LIGETI GYÖRGY (1923-2006)
Pour une esthétique du son continu
Grâce aux moyens du studio de musique électronique, Ligeti contrôle la nature même de la continuité du parcours sonore en modifiant, le cas échéant, leur seuil d'estompage par un travail inverse : la discontinuité d'éléments particuliers. Ces éléments évoluant individuellement et de façon discontinue sont systématiquement superposés en couches. Grâce à la rapidité du déroulement de la bande, on obtient l'impression d'une continuité, la durée de chaque hauteur étant dans ce cas inférieure à un vingtième de seconde. Toutefois, déçu par les limites de l'électronique, Ligeti quitte Cologne, s'installe à Vienne – il a acquis la nationalité autrichienne –, et enseigne la composition à Darmstadt, à Stockholm, à Berlin et à Hambourg.
S'il considère ses œuvres de musique électronique comme des échecs (sauf Artikulation) du point de vue de leur réalisation musicale (« il me semble, explique-t-il, que le résultat sonore est amoindri par la transmission par haut-parleur »), il reconnaît que cette expérience est le véritable point de départ d'une production exclusivement instrumentale ou vocale.
Ascétisme et complexité
Provocateur ou poète ? Ligeti, qui s'impose comme un compositeur non sériel en réaction contre un courant sans issue pour la nouvelle avant-garde européenne, va mettre en relief un certain nombre de confusions entre les domaines physique et psychique de l'écoute musicale : « Je pensais que même si les hauteurs, d'une part, et les durées, de l'autre, sont déterminées par un même ordre, quelque chose comme une série de nombres logarithmiques, l'analogie des deux séries n'est établie que sur le plan de la description verbale ; une analogie musicale efficiente ne s'établit pas. Notre système nerveux, quant aux rapports de hauteurs, réagit naturellement différemment que pour les rapports de durées. Ceux-ci, physiquement, appartiennent sûrement à un contexte commun, mais n'ont psychiquement, à travers la réalité de notre perception, aucune correspondance contextuelle. »
La musique statique devient un centre de préoccupations, non plus travaillée dans l'ordre mélodique, mais cherchant véritablement un son neutralisé, donnée sonore entre le son pur et le bruit. C'est ainsi que se laisse définir Atmosphères (1961), comme une œuvre de pure couleur sonore, où l'aspect essentiel de son mode de composition réside plutôt dans la modification et non dans l'abolition du système sériel. En effet, György Ligeti conserve, dans sa méthode de travail, deux grandes caractéristiques de la pensée sérielle : le choix des éléments, et leur systématisation. La grande innovation réside dans le fait que l'ordre de ces éléments est « pré-déterminé » une fois pour toutes, dans les domaines du rythme, de la dynamique, du timbre, des hauteurs, du registre, de la densité, du mouvement intrinsèque et des enchaînements formels. Seule se métamorphose la trajectoire de ces éléments. Des sensations optiques et tactiles, où les sons ont une couleur, une forme, une consistance matérielle plus proche d'une intuition immédiate du monde qu'une réelle spéculation intellectuelle, s'échappent de cette musique diffuse, magma d'espaces sonores évoluant en un seul souffle, avec comme dynamique un « perpetuum mobile ». « Ma musique – dit Ligeti – donne l'impression d'un courant continu qui n'a ni début ni fin. Sa caractéristique formelle est le statisme, mais derrière cette apparence, tout change constamment. »
Ligeti et le timbre : le substrat expressif
À partir d’Atmosphères (1961), le cheminement et l'évolution de la pensée musicale de Ligeti ont obéi à une logique interne étonnamment fidèle à celle du jeune homme solitaire qui avait reçu l'empreinte et[...]
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Écrit par
- Danielle COHEN-LÉVINAS : musicologue, enseignant, directeur de recherche au C.N.R.S.
Classification
Média
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