LUKÁCS GYÖRGY (1885-1971)
L'importance de l'apport du philosophe hongrois Lukács à la pensée occidentale contemporaine est un fait incontestable.
À travers l'analyse chronologique des principales œuvres de Lukács, on perçoit comment, à chaque étape de la recherche lukacsienne, correspondent des (re)découvertes et mises au point de concepts opératoires dont l'utilisation a permis l'essor des sciences humaines positives.
Depuis la publication de ses premiers ouvrages (1908-1910) jusqu'aujourd'hui, Lukács a toujours été l'un des théoriciens les plus discutés et les plus contestés. Il apparaît toutefois de plus en plus évident, pour ses défenseurs comme pour ses adversaires, qu'il est depuis Marx le plus important penseur philosophique se rattachant à l'école marxiste, et même aux yeux de certains – dont l'auteur de ces lignes – qu'il est tout simplement le principal philosophe de la première moitié du xxe siècle.
Les circonstances historico-politiques, en particulier la menace nazie, l'amenèrent à modérer sa position critique à l'égard du dogmatisme théorique de la période stalinienne, et, après la Seconde Guerre mondiale, cette figure de premier plan subit une éclipse. Mais son influence déterminante sur des penseurs tels que Karl Mannheim, Karl Korsch et surtout Martin Heidegger rend indispensable la connaissance de son œuvre pour tous ceux qui sont réellement intéressés par le développement de la pensée occidentale. Et c'est surtout comme fondateur du structuralisme génétique que Lukács est analysé ici.
Le créateur de l'existentialisme
Né à Budapest le 13 avril 1885, Georges Lukács poursuit ses études en Allemagne à partir de 1909 où il entre en contact avec Georg Simmel, à Berlin, avec l'école philosophique sud-ouest allemande, et surtout avec deux figures extrêmement importantes de la vie intellectuelle de l'époque, Émile Lask et Max Weber. Pendant cette période, il publie deux ouvrages qui joueront un rôle capital dans la pensée européenne.
D'abord père de l'existentialisme avec L'Âme et les formes (Die Seele und die Formen, 1911), Lukács jette les bases méthodologiques pour une analyse structurale de la création littéraire : La Théorie du roman (Die Theorie des Romans, publiée en 1920, mais écrite durant la Première Guerre mondiale). En 1918, il adhère au Parti communiste hongrois et, de mars à août 1919, est commissaire du peuple à la Culture dans le gouvernement de Béla Kun. Il est par la suite rédacteur de la revue Kommunismus. Son œuvre débouche enfin, dans Histoire et conscience de classe(Geschichte und Klassenbewusstsein, 1923), sur un renouvellement de la pensée marxiste par lequel il dégage les deux catégories fondamentales de toute pensée véritablement dialectique : celle de totalité, et celle d'identité du sujet et de l'objet.
Condamné pour déviationnisme en 1925, Lukács fait son autocritique et s'abstient, à partir de 1926 (il ne publie pendant cette période sous son propre nom que quelques notes de deux à six pages) de toute publication théorique importante jusqu'en 1932. L'arrivée au pouvoir de Hitler, qui se dessine à l'horizon, l'amène probablement à penser que les divergences entre les différentes formes de pensée marxiste, y compris la sienne et celle de la direction communiste, importent moins que la menace imminente du fascisme. Lukács recommence à publier, et élabore une œuvre considérable, tant sur le plan de l'histoire de la philosophie, de la littérature, que sur celui de la critique littéraire, dans laquelle il soulève aussi, de manière indirecte il est vrai, les principaux problèmes politiques du mouvement communiste. Réfugié en U.R.S.S. depuis 1933, il rentre à la fin de la guerre en Hongrie où il devient membre du Parlement et professeur de philosophie. Après un certain[...]
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Écrit par
- Lucien GOLDMANN : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
Médias
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