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LUKÁCS GYÖRGY (1885-1971)

L'apport décisif à la sociologie positive

Sur le plan sociologique, les trois premiers ouvrages de Lukács constituent pratiquement la première mise en lumière de structures mentales opératoires qui ont permis ultérieurement de nombreuses analyses positives, en particulier dans le domaine de la sociologie dialectique de la littérature. L'idée de vision du monde et de structure mentale n'est sans doute pas une découverte de Lukács. Sous une forme an-historique, apriorique, elle existe déjà chez Kant. Dans sa forme historique, on la trouve chez Hegel, chez Marx et, par la suite, dans les analyses beaucoup plus vagues et moins précises de Simmel, de Dilthey et encore, à un degré de rigueur plus élevé, dans les « types idéaux » de Max Weber ; mais c'est surtout avec les analyses lukacsiennes que ce concept devient réellement opératoire et qu'il pourra être utilisé dans les recherches positives.

Si, du point de vue de l'histoire de la pensée de Lukács, La Théorie du roman constitue un passage de l'existentialisme tragique à une dialectique presque hégélienne, son importance scientifique et positive se situe encore sur le plan de la mise en lumière de structures mentales opératoires. L'Âme et les formes avait décrit des structures de refus de la réalité et du monde social, La Théorie du roman étudie les structures épiques, terme qui, pour Lukács, désigne toutes les formes littéraires impliquant, d'une manière ou d'une autre, une certaine acceptation, si critique soit-elle, du monde extérieur.

C'est avec son troisième ouvrage, publié en langue allemande, Histoire et conscience de classe, que Lukács aborde la sociologie proprement dite, et c'est aussi avec ce même livre qu'il provoque une véritable tempête, faite, d'une part, de réactions positives qui aboutissent à créer une école et, d'autre part, de refus appuyés par tout le marxisme institutionnel de l'époque. Cet ouvrage, qui est un des premiers exposés globaux d'une philosophie marxiste et dialectique, apporte un si grand nombre d'idées nouvelles, ou qui, du moins, étaient depuis longtemps éliminées de la discussion scientifique, qu'on peut à peine en énumérer ici quelques-unes. En dehors de l'étude de la réification – abordée ailleurs –, le livre apporte la première analyse sérieuse des relations entre visions du monde et classes sociales – analyse utilisée pour éclairer certains chapitres de l'histoire des méthodes en sciences humaines, et aussi pour restructurer l'histoire de la philosophie classique allemande.

La totalité et l'identité du sujet et de l'objet

Sur le plan méthodologique, il met en lumière l'importance de l'idée de totalité et d'identité du sujet et de l'objet pour toute étude scientifique et positive des faits humains, et à partir de là, le caractère inacceptable de toute alternative radicale (déterminisme-liberté ; idéalisme-matérialisme ; théorie-praxis ; synchronie-diachronie, etc.) et notamment de celle qui constitue l'une des illusions les plus contestables de la science positiviste : la dualité radicale entre les jugements de fait et les jugements de valeur. Sur ce fondement, il développe les trois idées qui ont suscité la résistance de tous les marxistes mécanistes : l'existence de deux types de pensée scientifique, correspondant respectivement aux sciences de la nature et aux sciences de l'homme ; l'existence d'une différence assez importante entre les positions d'Engels (qui affirmait le caractère dialectique des sciences naturelles) et celles de Marx ; et surtout, dans un chapitre sur le changement de fonction du matérialisme historique, l'affirmation que ce dernier constitue encore la perspective du prolétariat révolutionnaire dans la société capitaliste – plus avancée[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

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György Lukács - crédits : Hulton-Deutsch/ Corbis Historical/ Getty Images

György Lukács

La république des Conseils en Hongrie - crédits : Topical Press Agency/ Getty Images

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