BRASSAÏ GYULA HALÁSZ dit (1899-1984)
« Vision normale » et graffitis
Après avoir arpenté la cité, le photographe pousse les portes de ce décor : il entre au bal musette des Quatre Saisons, fréquenté par les gens du « milieu », s'invite au grand bal des homosexuels, ou encore au bar Le Monocle, couru des lesbiennes. Brassaï va plus loin dans l'intimité de personnages. Il fixe l'ambiance d'une maison close, chez Suzy, ou d'un hôtel de passe rue Quincampoix. Pour faire exister quelque scène, il va jusqu'à faire jouer à un ami le rôle du client. De la même façon, il photographie une fumerie d'opium dans un appartement des beaux quartiers. Muni de son appareil à plaques et de son flash au magnésium, le photographe opère avec le consentement de ceux dont il fixe l'image. Il ne saisit pas des expressions fugitives, mais cherche au contraire à inscrire des caractères dans des décors identifiables. Henry Miller, qui l'a surnommé « l'œil de Paris », a souligné l'avidité de son regard, sa curiosité : « Brassaï possède ce don rare que tant d'artistes méprisent : une vision normale. » Le photographe restitue ce qu'il a vu, saisit sans juger, mais ne laisse rien échapper non plus. Ces images constituent en fait la chronique et le témoignage de ses nuits.
Brassaï souhaitait rassembler cette seconde série d'images dans un livre, Paris intime, qui aurait été le pendant de Paris de nuit. Mais l'ouvrage publié sous le titre Voluptés de Paris, en 1934, caricature son projet pour n'en retenir que l'aspect le plus « croustillant ». S'estimant trahi, le photographe rayera ce livre de la liste de ses publications. En 1976 paraîtra Le Paris secret des années 1930, où ses images sont accompagnées de textes et de légendes.
Parallèlement, depuis 1932, Brassaï photographie des graffitis anonymes dessinés ou gravés sur les murs de la capitale. Il s'agit d'« objets trouvés » repérés lors de ses marches et rassemblés pour leur valeur poétique. On y voit des visages bruts, qui font écho à ceux des personnages étranges rencontrés dans le Paris interlope contemporain. La démarche de Brassaï rejoint celle de nombreux artistes de son époque, dont les surréalistes, hantés par la recherche du rêve et du fantastique. Il photographie d'ailleurs les « sculptures involontaires » de Dalí (morceaux de savon, billets d'autobus roulés), dont les images seront publiées dans la revue Minotaure en 1933. Ainsi, Brassaï sera parfois assimilé à un photographe surréaliste. Mais ses accointances avec le mouvement, auquel il n'adhérera jamais, demeurent plutôt limitées – il reproche à Breton de se prendre trop au sérieux, et n'est pas convaincu par Dalí. Ce qui intéresse Brassaï, c'est la réalité, le réel rendu fantastique par la vision.
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Écrit par
- Anne de MONDENARD : diplôme de l'École Louis-Lumière, diplôme de recherche de l'École du Louvre, responsable du fonds de photographie à la Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, Paris
Classification
Média
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