BOURGUIBA HABIB (1903-2000)
Fondateur de l'État tunisien
Ce n'est qu'en 1954, sous le gouvernement de Pierre Mendès France, que Paris tend la main à Bourguiba, qui l'accepte. Un an plus tard, la Tunisie est autonome. Deux ans plus tard, elle est indépendante. Bourguiba a fait prévaloir sa stratégie des « étapes » sur celle des exigences immédiates préconisée par son rival Salah ben Youssef : mais l'évolution a été plus rapide encore qu'il n'avait prévu. Premier ministre en 1956, il fait déposer le bey en 1957 et devient chef de l'État. L'accession de l'Algérie à l'indépendance semble le rapprocher de son objectif majeur : une Tunisie émancipée servant de guide à une Afrique du Nord fédérée. Mais ses voisins s'y refusent.
Il lui reste trois tâches à accomplir : institutionnaliser un pouvoir qu'il résume trop fortement pour ne pas le vouer, lui disparu, à la décadence ; développer l'économie d'un pays qui, apte à nourrir deux millions d'habitants, s'essouffle à en alimenter cinq ; faire du Maghreb le trait d'union et le courtier entre l'Occident et le monde arabe d'Orient.
La tentative d'institutionnalisation du pouvoir
Institutionnaliser le pouvoir pour assurer la continuité de l'État après lui ? Habib Bourguiba est peut-être le seul leader arabe qui ait créé un vrai parti et fondé un État de type moderne, fonctionnant presque selon les normes européennes. Mais l'éclat de sa personnalité, l'enflure de son discours, son intolérance à la critique, l'effacement inévitable d'une équipe qui se résigne à n'être qu'un état-major docile, tout contribue à une personnalisation presque caricaturale d'un pouvoir qu'un seul homme représente, incarne et exprime.
Si bien que cette mutation dans l'histoire arabe qu'avait provoquée Habib Bourguiba, introduisant la politique là où n'était que la foi, le débat où régnait la prophétie intermittente du zaïm, s'est peu à peu flétrie. La Tunisie, à son tour, en est revenue à l'âge de l'homme providentiel, seul médiateur entre les masses et Dieu. Il arriva parfois à H. Bourguiba de parler de succession, si tant est que l'on puisse succéder à Bourguiba, « combattant suprême », père fondateur de la patrie et guide inspiré du peuple tunisien.
Le socialisme destourien
Formé par l'école française libérale, peu intéressé à l'origine par les questions économiques, Habib Bourguiba aura eu quelque peine à se rallier, dans la lutte pour le développement, à un dirigisme pour lequel il n'avait guère d'inclination, dès lors que le plus brillant de ses collaborateurs, Ahmed ben Salah, ancien syndicaliste, lui eut démontré que, faute de capital national et d'une aide étrangère suffisante, l'État tunisien devait prendre en charge la production, voire la distribution. D'où ce « socialisme destourien », vaguement inspiré du coopérativisme yougoslave, qui sombra rapidement dans le bureaucratisme autoritaire et répressif et mit la Tunisie au bord de la crise de régime.
L'échec de ce « socialisme » fondé sur la coopération peut être attribué à la médiocrité des ressources du pays, et aussi au retrait de l'aide financière française en 1964, consécutive à la nationalisation des terres « de colonisation » françaises, réalisée dans des conditions qui en firent l'une des erreurs psychologiques et diplomatiques les plus incompréhensibles de Habib Bourguiba vis-à-vis de la France.
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Écrit par
- Jean LACOUTURE : journaliste, écrivain
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