HABITUS
La trajectoire historique de la notion d'habitus est flottante. À l'évolution naturelle du vocable se sont ajoutés des usages intellectuels aux intentions théoriques divergentes. Une continuité spéculative peut néanmoins être tracée entre le terme grec hexis (du verbe ekheïn, « avoir ») et le terme latin habitus (du verbe habere) qui le traduit.
Histoire
Dans son sens initial, l'habitus désigne une disposition acquise et stable relevant de l'éthique ou de la noétique. Dans le domaine éthique, l'habitus fait signe vers la vertumorale. Pour Aristote, l'homme vertueux actualise la manière d'être (hexis) sur laquelle il a délibéré (Léon Robin, 1947). La scolastique médiévale accentue le caractère actif de cette définition. L'habitus est la disposition d'un acteur qui développe volontairement son agir. Dans le domaine noétique, la notion d'habitus demeure relativement univoque. De l'aristotélisme primitif à Thomas d'Aquin, elle renvoie à la qualité intellectuelle autorisant l'acquisition ou la mise en exercice d'un savoir. Dans un sens second, l'habitus reçoit la signification passive et extérieure de manière d'être ou d'apparaître à autrui. Cette acception morphologique de type médical définit l'habitus comme l'aspect général du corps ou du visage. L'habitus indique ainsi un état global de santé ou de maladie, mais il permet également de singulariser une espèce (Diderot et d'Alembert, 1765).
Dans un sens dernier, la notion d'habitus reçoit un contenu sociologique. Son usage intellectuel répond à une exigence plus spécifique de scientificité : pour devenir sociologiquement féconde, la notion d'habitus doit être préalablement affranchie de ses implications normatives. Elle sera ainsi revisitée, pour être d'abord inscrite dans le processus de socialisation individuelle. Durkheim la caractérisera par exemple d'un sens positif : l'ensemble des apprentissages réalisés par l'enfant pendant l'éducation (1911). Il privilégiera une définition non mécanique du lien entre dispositions mentales, représentations collectives et actions individuelles (Raymond Boudon, 1993). Reconduisant le sens second de la notion d'habitus, Marcel Mauss l'appliquera aux techniques corporelles socialement acquises, et exercées de façon plus ou moins automatique (1934). Norbert Elias mobilisera ensuite la notion d'habitus pour illustrer le type de personnalité psychique formé par la dynamique civilisationnelle de l'Occident (1939). Il la fixera ainsi à l'intérieur d'une double problématique sociologique, circonscrite avant lui par Max Weber. Elias pose d'abord la question du « type d'homme » (Menschentum) que façonnent les structures sociales. En envisageant l'habitus comme un état psychique stabilisé, il peut expliquer l'« interdépendance fonctionnelle » entre structures sociales et processus d'intériorisation des normes. Il peut également présenter cette interdépendance comme une solution théorique à l'antinomie individu-société (1939). Elias articule ensuite la question de l'habitus avec la notion d'ethos. Il peut alors expliquer la constitution d'un habitus homogène, à partir des groupements particuliers que forment les individus et des rapports qu'ils y entretiennent. En faisant primer l'acquisition de la richesse par le travail sur l'acquisition des titres de noblesse, l'ethos social de la bourgeoisie modifie la structure sociale dans son ensemble. Il déplace la compétition pour le statut social du prestige lié au rang – habitus aristocratique – vers le travail visant l'accumulation du capital – habitus bourgeois (1969).
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Écrit par
- Frédéric GONTHIER : enseignant-chercheur, enseignant à l'université de Paris-X-Nanterre, chercheur du C.E.P.E.C.S., université de Paris-V
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