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HABITUS

L'habitus selon Pierre Bourdieu

Pierre Bourdieu situera sa propre redéfinition de l'habitus dans une problématique analogue, celle d'une médiation entre les pratiques sociales et les structures objectives des champs sociaux où elles s'inscrivent (1967). Élargie aux dimensions de la théorie de la connaissance sociologique, la notion d'habitus autorisera à rompre avec les deux antithèses de l'objectivisme et du subjectivisme. L'objectivisme explique la signification extérieure des phénomènes sociaux sans atteindre leur sens interne. Dans son extension structuraliste, il présuppose une détermination des individus par les relations sociales. À l'inverse, le subjectivisme saisit le sens interne dans l'immédiateté vécue. Sur son versant individualiste, il dissout les caractéristiques sociales des pratiques dans l'expérience subjective (1980). La définition phénoménologique, par exemple, réduit l'habitus à un socle pré-réflexif qui structure le jugement et où l'expérience se structure en retour (Husserl, 1939). Selon Bourdieu, la notion d'habitus permet de déporter la primauté explicative des dispositions empiriquement acquises vers la manière de les acquérir. Elle doit être ainsi posée comme un « principe générateur (et unificateur) de pratiques reproductrices des structures objectives » (Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, 1987).

Cette redéfinition peut être tendue dans deux cadres explicatifs. Du côté de ses conditions de production, l'habitus se définit par trois caractères. Il renvoie d'abord aux apprentissages par lesquels des perceptions, des jugements ou des comportements sont véhiculés et inculqués pendant la socialisation individuelle. Il renvoie ensuite à l'impact de ces apprentissages sur l'agent, à la façon dont ils sont intériorisés et reconduits dans un inconscient individuel et collectif. Il renvoie enfin à la capacité de ces dispositions à faire naître des pratiques sociales. Du côté de ses conditions de reproduction, l'habitus se définit autour de trois principes. Il répond d'abord à un principe de durabilité : l'habitus est une formation intériorisée durable dans la mesure où il est capable de se perpétuer, et de perpétuer ainsi les pratiques qu'il est supposé engendrer. Il répond ensuite à un principe de transposabilité : il est capable de s'étendre au-delà du champ social où il s'origine, et d'engendrer des pratiques analogues dans des champs différents. Il répond enfin à un principe d'exhaustivité : il est susceptible de se reproduire plus adéquatement dans les pratiques qu'il génère (1987). Les conditions de production et de reproduction de l'habitus sont circulairement liées. L'habitus tend à produire les conditions sociales de sa reproduction, en même temps qu'il tend à reproduire les conditions sociales de sa production. Cette circularité n'immunise pas seulement contre un usage déterministe du dispositif théorique. Elle exprime une ambition fondamentale : l'habitus s'annonce comme la promesse d'une réconciliation entre liberté et déterminisme sociologiques.

Selon Raymond Boudon, la notion d'habitus engage à voir dans les états psychiques la projection de structures sociales incorporées. Le sociologue serait alors victime d'une illusion. Il traiterait comme une cause ce qui ne constitue en fait qu'une conséquence des activités sociales : l'existence d'une stratification sociale fonctionnellement différenciée. Le schéma explicatif qui réduit l'action au produit d'un effet de socialisation s'expose ainsi à une difficulté : peut-on, par exemple, soutenir que c'est à cause de faibles ambitions scolaires que les classes modestes atteignent globalement de faibles niveaux scolaires (1973) ? La circularité analytique de la notion d'habitus conduirait-elle[...]

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Écrit par

  • : enseignant-chercheur, enseignant à l'université de Paris-X-Nanterre, chercheur du C.E.P.E.C.S., université de Paris-V

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