ḤĀFIẒ DE CHĪRĀZ (1320 env.-env. 1389)
Chantre de l'amour profane, interprète des sentiments mystiques
Reconnaissons que si, dans une partie de l'œuvre de Ḥāfiẓ, le sens des mots est toujours clair et univoque, une autre partie du Dīvān est difficilement compréhensible pour un lecteur profane en raison de l'inspiration symbolique de l'auteur.
L'interprétation de cette dernière catégorie de ghazals qu'on discuta surtout au début de ce siècle à propos de la traduction du Dīvān en plusieurs langues étrangères, a donné lieu à maints commentaires et suscité de multiples controverses parmi les orientalistes. Quelle signification donner à ces poèmes ? Faut-il les prendre au pied de la lettre ou doit-on découvrir en eux, à travers une profusion de symboles qui les enveloppent, une signification beaucoup plus profonde qui irait dans le sens de la divination ? Les réponses fournies par les spécialistes exagèrent dans l'un ou l'autre sens, et sont par là même contradictoires. Une étude exhaustive de l'œuvre du poète s'appuyant sur les données historico-sociales de l'époque où il composa ses ghazals et surtout une attention particulière portée aux différents épisodes de sa vie aident néanmoins à découvrir le vrai visage de Ḥāfiẓ, ou plutôt son double visage, l'un n'excluant pas l'autre.
En fait, Ḥāfiẓ n'est ni exclusivement hédoniste ni complètement mystique : il est l'un et l'autre à la fois. Son Dīvān contient autant de ghazals purement bachiques que de poèmes mystiques. Il a su, en effet, établir un parfait équilibre entre l'hédonisme et le soufisme, le profane et le sacré, les éléments terrestres et les choses célestes. Toute la valeur de l'œuvre de Ḥāfiẓ se trouve dans cet équilibre ; faute de quoi elle perd tout son intérêt, son charme, sa philosophie, et même sa raison d'être. Philosophie déterministe, selon laquelle, la part que chacun doit avoir dans la vie étant prédestinée, il faut se contenter de ce qu'on possède – si peu que ce soit – sans froncer les sourcils.
Cette philosophie trouve son écho dans les célèbres Robā‘iyyat de ‘Omar Khayyām, avec cette différence que Ḥāfiẓ, qui est malgré tout un croyant, se montre optimiste et pleinement confiant dans l'avenir, tandis que le poète de Nīshābur, avec sa conception pessimiste du monde et de ses attributs, considérés par lui comme les fruits d'un pur jeu de hasard, n'hésite pas à prendre à partie les principes mêmes de la religion, et ceux qui en professent la croyance. Quand il s'agit de dénoncer la malhonnêteté des hypocrites et de faux dévots qui abusent de la foi des hommes pour atteindre leurs vils objectifs, l'un et l'autre utilisent pourtant les mêmes accents.
Le poème suivant donnera peut-être quelque idée de l'art incomparable de Ḥāfiẓ :
J'ai vu le champ verdoyant du firmament et la faucille de la nouvelle lune. Je me suis souvenu de ma culture et du temps de la moisson ; Ne fais pas confiance à l'astre errant de la nuit : Ce fourbe ravit la tiare au roi Kâvous et la ceinture à Keykhosrow. J'ai dit : « Tu dors, ô Fortune ! et le soleil s'est levé.
– Ne désespère quand même pas du passé », répondit-il. Si tu vas au Ciel aussi pur et solitaire que le Messie, Cent rayons atteindront le soleil de ta lumière. Dis au Ciel : « N'étale pas ta grandeur, car au marché de l'Amour Ta lune et tes pléiades ne valent que des grains d'orge. Quoique les boucles d'or et de rubis rehaussent encore ta beauté. Celle-ci est passagère. Écoute ce conseil ! Que le mauvais œil soit loin de ton grain de beauté Dont le charme dépasse celui de la Lune et du Soleil. Le feu de la fausse dévotion et de l'hypocrisie brûlera la moisson de la foi. » Ô Hâfiz, ôte ce froc de bure et va...
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Écrit par
- Mohammad Hassan REZVANIAN : docteur d'État ès lettres, professeur de littérature comparée aux universités de Téhéran, traducteur-expert auprès de la cour d'appel de Paris
Classification
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