HAGIOGRAPHIE
La structure du discours hagiographique
Le héros
L'individualité, dans l'hagiographie, compte moins que le personnage. Les mêmes traits ou les mêmes épisodes passent d'un nom propre à l'autre : de ces éléments flottants, comme de mots ou de bijoux disponibles, les combinaisons composent telle ou telle figure et l'affectent d'un sens. Plus que le nom propre importe le modèle qui résulte de ce « bricolage » ; plus que l'unité biographique, le découpage d'une fonction et du type qui la représente.
La construction de la figure s'effectue à partir d'éléments sémantiques. Ainsi pour indiquer chez le héros la source divine de son action et de l'héroïcité de ses vertus, la vie de saint lui donne souvent une origine noble. Le sang est la métaphore de la grâce. D'où la nécessité de généalogies. La sanctification des princes et l'anoblissement des saints se répondent, de texte à texte : ces opérations réciproques instaurent en hiérarchie sociale une exemplarité religieuse, et elles sacralisent un ordre établi (tel est le cas avec saint Charlemagne ou saint Napoléon). Mais elles obéissent également à un schéma eschatologique qui renverse l'ordre politique pour lui substituer le céleste, et change les pauvres en rois. En fait, il y a circularité : chaque ordre reconduit à l'autre. C'est l'ambiguïté des Gesta principum et vitae sanctorum : une attraction réciproque du prince et du saint les rassemble en la preuve que « c'est toujours la même chose » sous la diversité des manifestations.
L'utilisation de l'origine noble (connue ou cachée) n'est qu'un symptôme de la foi qui organise la vie de saint. Alors que la biographie vise à poser une évolution, et donc des différences, l'hagiographie postule que tout est donné à l'origine avec une « vocation », avec une « élection » ou, comme dans les vies de l'Antiquité, avec un ethos initial. L'histoire est alors l'épiphanie progressive de ce donné, comme si elle était aussi l'histoire des rapports entre le principe générateur du texte et ses manifestations de surface. L'épreuve ou la tentation est le pathos de ce rapport, la fiction de son indécision. Mais le texte se raconte lui-même en focalisant le héros autour de la « constance », persévérance du même : « Idem enim constantissime perseverebat qui prius fuerat », est-il dit de saint Martin dans sa Vita. La fin répète le commencement. Du saint adulte, on remonte à l'enfance, en qui se reconnaît déjà l'effigie posthume. Le saint est celui qui ne perd rien de ce qu'il a reçu.
Le récit n'en reste pas moins dramatique, mais il n'y a devenir que de la manifestation. Ses lieux successifs se répartissent essentiellement entre un temps d'épreuves (combats solitaires) et un temps de glorifications (miracles publics) : passage du privé au public. Comme dans la tragédie grecque, on sait l'issue dès le début, avec cette différence que là où la loi du destin grec impliquait la chute du héros, la glorification de Dieu demande le triomphe du saint.
Un discours de « vertus »
L'hagiographie est, à proprement parler, un discours de vertus. Mais le terme n'a que secondairement, et pas toujours, une signification morale. Il avoisine plutôt l'extraordinaire et le merveilleux, mais seulement en tant qu'ils sont des signes. Il désigne l'exercice de « puissances » se rattachant aux dunameis du Nouveau Testament et articulant l'ordre de l'apparaître sur un ordre de l'être. La « puissance » représente la relation entre ces deux niveaux et maintient leur différence. Cette médiation comporte tout un éventail de représentants, depuis le martyre ou le miracle jusqu'à l' ascèse ou l'accomplissement du devoir d'état. Chaque vie de saint[...]
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Écrit par
- Michel de CERTEAU : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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