HAGIOGRAPHIE
Une géographie du sacré
L'hagiographie se caractérise par une prédominance des précisions de lieu sur les précisions de temps. Par là aussi elle se distingue de la biographie. Elle obéit à la loi de la manifestation, qui caractérise ce genre essentiellement « théophanique » : les discontinuités du temps sont écrasées par la permanence de ce qui est le commencement, la fin et le fondement. L'histoire du saint se traduit en parcours de lieux et en changements de décors ; ils déterminent l'espace d'une « constance ».
La circularité d'un temps clos
Dans son ensemble, et dès les premiers mots, la vie de saint se soumet à un autre temps que celui du héros : celui, rituel, de la fête. L'aujourd'hui liturgique l'emporte sur un passé à raconter. L'incipit fixe au discours son statut. Il ne s'agit pas d'une histoire, mais d'une « légende », c'est-à-dire de ce qu'il « faut lire » (legendum) ce jour-là. Depuis les premiers « calendriers » jusqu'aux « Vies de saints pour tous les jours de l'année » (de J. Caillet, entre cent autres) et aux « catalogues des saints selon l'ordre des mois », un cadre liturgique fixe à l'hagiographie sa place dans une circularité, le temps autre, sans durée, déjà eschatologique, de la fête. L'« ordre » d'un calendrier s'impose au récit (ainsi deux calendriers sont à l'origine des versions, grecque et latine, de la Vie de Mélanie). Les œuvres du saint sont classées d'après les calendriers en usage dans les communautés où se lit sa légende. C'est l'ordre d'un cosmos.
Il se retrouve dans les « catalogues universels » qui substituent à la circularité du « sanctoral » (le cycle annuel des fêtes de saints) la totalité plus vaste de l'histoire depuis le commencement du monde, comme le fait déjà L. Rabe (1571) : autre temps clos, car la chronologie, qui s'introduit dans l'hagiographie, reste le moyen d'une récapitulation englobante. L'ordre liturgique ne se morcelle que là où s'impose l'ordre alphabétique. Encore survit-il subrepticement (par exemple avec la « table » dite « chronologique » qui, dans le Dictionnaire hagiographique de Migne, en 1850, suit le calendrier). Il reste la norme cachée, le soutien secret de l'espace où l'ailleurs se trouve enfermé. Cette protection d'un lieu mis en dehors du temps fait-elle autre chose que répéter ce que dit le texte avec la volonté de couvrir d'extraordinaire une localité religieuse ou avec la tendance apocalyptique et millénariste qui s'y exprime si souvent ?
Une composition de lieux
La vie de saint est une composition de lieux. Primitivement, elle naît en un lieu fondateur (tombe de martyr, pèlerinage, monastère, congrégation, etc.) devenu lieu liturgique, et elle ne cesse d'y ramener (par une série de voyages ou de déplacements du saint) comme à ce qui est finalement la preuve. Le parcours vise le retour à ce point de départ. L'itinéraire même de l'écriture conduit à la vision du lieu : lire, c'est aller voir.
Le texte, avec son héros, tourne autour du lieu. Il est déictique. Il montre toujours ce qu'il ne peut ni dire ni remplacer. La manifestation est essentiellement locale, visible et non dicible ; elle manque au discours qui la désigne, la fragmente et la commente en une succession de tableaux. Mais cette « discursivité », qui est passage de scène en scène, peut énoncer le sens du lieu, irremplaçable, unique, extraordinaire et sacré (hagios).
L'organisation de l'espace que parcourt le saint se déplie et se replie pour montrer une vérité qui est un lieu. Dans un très grand nombre d'hagiographies, anciennes ou modernes, la vie du héros se partage, comme le récit de voyage, entre un départ et un retour, mais[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Michel de CERTEAU : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Autres références
-
ANGLO-NORMANDE LITTÉRATURE
- Écrit par André CRÉPIN
- 1 034 mots
L'anglo-normand est la variété de français parlée et écrite en Angleterre du xiie au xive siècle inclus. Après la conquête de l'Angleterre par Guillaume de Normandie (1066) et l'avènement des Plantagenêts (1154), le français vint s'ajouter au latin et à l'anglais. Le latin de l'Église...
-
ARÉTIN L' (1492-1556)
- Écrit par Paul LARIVAILLE
- 3 064 mots
- 1 média
...Jésus-Christ (1535), la Genèse (1538), la Vie de la Vierge Marie (1539), la Vie de sainte Catherine (1540) et la Vie de saint Thomas d'Aquin (1543). Certaines de ces œuvres ont connu de nombreuses éditions du vivant de l'auteur et un grand succès auprès de ses contemporains, qui y prisaient sans doute... -
BIOGRAPHIE
- Écrit par Alain VIALA
- 2 600 mots
...Vies des douze Césars. Elle tend alors à dessiner des personnalités représentées comme des types. Le Moyen Âge en fera grand usage dans la version hagiographique. À partir de la Renaissance, le retour aux textes anciens avive ce modèle dans le domaine profane : l'histoire des arts et de la littérature... -
BOLLANDISTES
- Écrit par Jacques DUBOIS
- 625 mots
Groupe d'érudits qui, jésuites pour la plupart, s'attachent, depuis le xviie siècle, à la publication et à la critique des documents hagiographiques du christianisme. En 1607, le père Héribert Rosweyde (1569-1629), jésuite d'Anvers, publia une liste de treize cents vies de saints anciennes,...
- Afficher les 26 références