HALLUCINATIONS
L'hallucination, dialogue avec la réalité
Le caractère « projectif » de l'hallucination a donné lieu à de multiples études. Philosophes et psychologues, phénoménologues et gestaltistes se sont associés aux psychiatres pour essayer de comprendre, au-delà des seules descriptions cliniques et évolutives traditionnelles, la signification des troubles psychosensoriels. Et l'on pense immédiatement aux symbolismes et aux archétypes, aux affects primitifs émanés de l'inconscient individuel et collectif, à la puissance évocatrice, de l'ordre des désirs et des peurs, qui se profile de façon « latente » derrière les perceptions trompeuses. Les hallucinations apparaissent bien, alors, comme des pulsions « archaïques » qui prennent le pas sur l'exercice usuel des organes des sens.
Toutefois, il est un autre mode d'approche qui permet de situer l'halluciné non plus seulement par rapport à lui-même, mais bien par rapport à autrui et par rapport au monde : le concept de « champ spatial hallucinatoire ». Au lieu d'être considéré dans l'univers clos où l'enferment ses fictions, le malade est alors étudié au regard des relations qu'il essaie d'établir et d'entretenir avec son entourage plus ou moins immédiat ou plus ou moins lointain.
Dans cette perspective, le « dialogue » hallucinatoire devient objet de science sociale, et la psychanalyse de l'homme se double d'une psychanalyse des objets. Science sociale, car l'halluciné, qui est sans cesse en situation d'altérité par rapport à lui-même, croit toujours être en relation avec autrui. Psychanalyse des objets, car l'halluciné ne se contente pas d'inclure dans son champ perceptif des objets qui n'existent pas, il décèle une plasticité magique dans les objets ambiants, il les rend complices de ses propres chimères. Les objets, en effet, ne sauraient rester neutres au regard des animations hallucinatoires : supports des schèmes perceptifs, ils se chargent de puissances insolites, ils constituent le mécanisme instrumental des vecteurs animistes ou des écrans de défense, ils « permettent » ou au contraire « atténuent » la mise en contact des affects dé-réels avec les organes des sens ou l'intimité de la personne. On peut parler là d'une véritable cosmologie archaïque inhérente à la perception des choses. Selon ce point de vue s'opposent au maximum le vécu totalement illusionnel du rêve et la reconstruction psychosensorielle de l'univers.
Par ailleurs, l'expérience hallucinatoire entraîne beaucoup plus loin encore : elle déjoue les tentatives de limitation à une zone qui serait seulement avoisinante. Elle ne peut se laisser tronquer. Elle exige d'autres espaces que celui où elle apparaît. À ce niveau, le malade mental, véritable « métaphysicien des êtres et des choses », semble s'affranchir des limites du monde sensible : à partir des êtres et des choses qu'il contrôle effectivement par ses organes des sens, il s'élance vers un « au-delà » spatial dont il prétend connaître la teneur. Au-delà du champ visuel, au-delà de la portée auditive, au-delà des frontières sensorielles, il y a encore « quelque chose » qui peut être vu, entendu, perçu... Démultiplication fallacieuse qui fait songer aux plans successifs découverts par le regard lorsque celui-ci, captif entre deux glaces, vise dans l'une d'elles la scène que l'autre lui renvoie.
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Écrit par
- Henri FAURE : ancien directeur du Laboratoire pathologique de la Sorbonne, médecin-chef à l'hôpital psychiatrique de Bonneval, professeur à l'université de Paris-V
Classification
Média
Autres références
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BION WILFRED R. (1897-1979)
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