HAMLET (mise en scène P. Brook)
« Qui est là ? ». C'est la première réplique d'Hamlet. C'était aussi le titre du travail de recherche présenté, il y a trois ans, par Peter Brook. « Qui est là », sur cette scène ? Et qu'est-ce qui est là ? Du théâtre, des corps, un corps en mouvement surtout, des mots proférés, une langue, un souffle, une intrigue. Et, comme le soulignait Gide, un mythe majeur, infiniment ouvert, centré sur un fils, entre un père assassiné et une mère trop vite remariée.
« Qui est là ? » Ce sont les mots d'Horatio, non plus adressés – comme dans le texte original – d'un officier à un soldat, mais devenus la question d'un ami d'Hamlet au spectre du souverain qui, déjà, entre sur la scène (Jeffrey Kisoon). Une question qui sera reprise en fin de représentation par le même personnage – le seul épargné par la fable, le seul qui ne meurt pas, et qui aura le dernier mot. Le ton est donné : Peter Brook veut concentrer la fable sur Hamlet et les relations qu'il entretient avec son père défunt, sa mère innocente et fautive, nouvelle épouse de Claudius, se débarrasser des questions historiques, propres à la période élisabéthaine, pour donner à la fable une valeur essentielle. Il n'y aura donc pas de retour à l'ordre : Brook supprime Fortinbras et la scène finale. Dans cette optique, c'est le corps, les mots et l'action d'Hamlet qui comptent, et rien qu'eux. Fils du père et de la mère, fou comédien mais aussi fou de douleur et fou de supporter l'humanité tout entière, Hamlet (Adrian Lester) est un corps qui souffre, infiniment léger sur la scène, un corps animal et sauvage au service d'une délibération sur l'homme.
Qu'on le veuille ou non, Hamlet intimide et intrigue. La pièce n'a cessé de donner lieu à de nouvelles interprétations, vite illustrées par de nouvelles mises en scène, ou l'inverse. Alors, il fallait être humble, ne rien oublier et décider de faire du théâtre, sans nouveauté, juste pour le texte et le jeu, en anglais, dans la langue de Shakespeare justement. C'était là le pari de Brook : ne pas trop s'embarrasser des objets et de leur traditionnelle polysémie, faire comme si le décor magique de la salle de théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, n'existait plus, ne pas insister lourdement sur la multiple signification des mots, tout cela pour aller au plus profond de la fable.
Brook, ici, ne met donc pas en scène – d'ailleurs, il déteste cette expression –, mais rend simplement compte d'un travail élaboré peu à peu, pour être enfin représenté devant les murs artistement lépreux de son théâtre. Hamlet vient de très loin, d'une réflexion en acte, toujours constante, sur le théâtre élisabéthain, et sur la fonction de révélation propre au théâtre. Sentinelle du théâtre, la pièce interroge radicalement la forme pour saisir quelque chose de ce qui échappe à tous les partenaires du jeu : aux comédiens, aux spectateurs, aux personnages, et à Shakespeare lui-même. On comprendra donc qu'il n'est pas question, dans cette représentation d'Hamlet, de faire semblant de servir un auteur qui, comme le dit Brook « essaie d'attraper, de concrétiser dans une forme quelque chose qu'il pressent comme étant là, et qu'il veut servir le mieux possible ». C'est pourquoi le metteur en scène veut oublier Shakespeare-auteur pour explorer les mots et faire part, avec toute la précision requise et exigée de ses comédiens, d'un processus théâtral qui continue à dépasser tous ceux qui affrontent cette pièce.
Mais l'expérience qu'il propose n'a rien de froid ou de faussement humble : la cérémonie du dévoilement exercée dans un lieu vide, à peine recouvert d'un tapis et de quelques coussins, veut qu'on ne passe pas à côté de ce qu'on considère très souvent comme[...]
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
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