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HAMMERSTEIN OU L'INTRANSIGEANCE (H. M. Enzensberger) Fiche de lecture

Paru en 2008, Hammerstein oder der Eigensinn (Hammerstein, ou l'Intransigeance, traduction de Bernard Lortholary, Gallimard, 2010) est un livre inclassable. Son auteur, Hans Magnus Enzensberger, précise dans la Postface qu'il ne s'agit là ni d'un roman, ni d'un travail d'historien sur les terres desquelles il n'entend d'ailleurs pas braconner, dit-il. Poète, essayiste et romancier, Enzensberger a procédé comme un photographe, par approches successives. Sous-titré « Une histoire allemande », ce livre, tout en racontant l'histoire de la famille Hammerstein, revisite l'histoire de l'Allemagne au cours de la première moitié du xxe siècle. « On peut montrer, écrit Enzenberger, ramassés sur un très petit espace, toutes les contradictions et tous les thèmes décisifs de la catastrophe allemande. [...] Cette histoire exemplaire, c'est aussi celle des derniers signes de vie d'une symbiose entre Allemands et Juifs, et elle montre aussi que, bien avant les mouvements féministes des dernières décennies, c'est de l'énergie des femmes que dépendit la survie des survivants. »

De fait et bien que le titre ne mentionne que le seul nom de Hammerstein (général baron Kurt von Hammerstein-Equord, 1878-1943, chef d'état-major de la Reichswehr jusqu'à l'accession de Hitler au pouvoir), Enzensberger ne brosse pas le portrait de ce seul personnage hors du commun, qui eut la sagacité de prendre congé de l'armée dès 1934, mais aussi celui de sa famille – qui comptait sept enfants –, et en particulier de ses filles. Représentant atypique de l'aristocratie, né dans une famille de la vieille noblesse de Westphalie attachée aux valeurs prusso-protestantes de sa classe et de son époque, Hammerstein détestait radicalement Hitler et le parti nazi. Jusqu'aux derniers jours de janvier 1933, il tenta même, en vain, de dissuader Hindenburg de faire appel à lui. Son sens aigu du service de l'État – et de l'Allemagne – va faire de l'ancien commandant en chef de la Reichswehr un personnage ambivalent. Le voilà ennemi de classe des communistes, mais artisan d'une coopération militaire avec l'armée soviétique entre 1924 et 1932, ennemi des nazis, sans pour autant aller jusqu'à devenir ouvertement un opposant, ce qui lui valut le surnom de « général rouge » : tout un pan de l'histoire des relations germano-soviétiques peu connu du grand public. Il semble permis d'avancer que, si Hammerstein avait vécu, il aurait compté comme plusieurs de ses fils parmi les artisans de l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, et aurait partagé leur fin tragique.

La femme et les enfants qui entourent ce patriarche ne sont pas moins hors normes. Les filles aînées s'engagent avec leurs maris – ou leurs compagnons – juifs et communistes, dans la résistance. Marie Luise fréquente les milieux intellectuels communistes et noue une relation avec le militant Werner Scholem, le frère de l'écrivain Gershom Scholem. Helga se lie à Leo Roth, également juif et membre important du Parti communiste allemand, puis des réseaux de résistance. À la suite de l'auteur – qui ne prend pas ouvertement position –, on ne peut éviter de se demander dans quelle mesure les filles de Hammerstein bénéficièrent de la bienveillance paternelle (ou de sa complicité : « mes enfants sont de libres républicains. Ils peuvent raconter et faire ce qu'ils veulent ») pour s'engager dans la résistance clandestine contre les nazis, voire transmettre des documents ultrasecrets, tout spécialement au Komintern, comme ce compte-rendu du dîner historique tenu dans l'appartement de fonction de Hammerstein, dans la tristement célèbre Blenderstrasse à Berlin, et qui réunit le 3 février 1933 les généraux de l'état-major allemand auxquels Hitler exposa – sans précautions oratoires – son programme dans toute sa folie criminelle.[...]

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Écrit par

  • : directrice de l'association Les Amis du roi des Aulnes, traductrice

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