HAMMOURABI
Le législateur
Mais c'est surtout dans son code que se manifeste le génie unificateur de Hammourabi. Le roi en ordonna au moins deux rédactions, séparées par un intervalle de cinq ans. La seconde, dressée dans la trente-quatrième année du règne, est connue par la stèle conservée au Louvre et traduite en français dès 1902 par le père Vincent Scheil. Un bas-relief y figure le roi recevant de Shamash, dieu du Soleil et de la Justice (ou de Mardouk ?), le contenu des lois. Le texte comporte un prologue, environ deux cent quatre-vingts articles et un épilogue. Prologue et épilogue exaltent les hauts faits du souverain, les buts de son activité législative, et cherchent à assurer, au moyen de bénédictions et d'imprécations, le respect de sa volonté. Trouvée à Suse, où un conquérant l'avait transportée au xiie siècle avant J.-C. comme butin de guerre, la stèle avait été polie à sa base ; la lacune résultant de cette mutilation a été partiellement comblée grâce à vingt-deux fragments de copies sur argile retrouvés dans les sites les plus divers et de dates très échelonnées. Ces copies prouvent la diffusion et la renommée du Code loin de Babylone (Élam, Assyrie) et mille ans après sa promulgation.
On connaît aujourd'hui les fragments d'au moins trois codes, sumériens et akkadien, antérieurs à celui de Hammourabi, et qui lui ont en partie servi de modèles. Toutes ces œuvres constituent, plus que des codes au sens moderne, des recueils inspirés par des précédents judiciaires et destinés à compléter la coutume ou à trancher des espèces délicates : elles forment donc une législation casuistique et complémentaire, comparable à celle de certains capitulaires.
Le droit révélé par le Code opère la synthèse d'éléments sumériens et sémitiques. Il évoque déjà une société de marchands tandis que, treize siècles plus tard, la loi des Douze Tables apparaîtra encore comme un code de paysans (P. Bonfante). On l'a aussi opposé, pour le modernisme de son esprit laïc, au Code de l'Alliance, pourtant postérieur de huit siècles. Les préoccupations sociales du législateur (tarifs de salaires, mercuriales de denrées) y sont manifestes. Les institutions archaïques (propriété collective, juridiction domestique, vengeance privée) y sont en recul. La rédaction en est excellente ; le vocabulaire est remarquable par sa propriété, et le style par sa concision. Toutes ces qualités ont valu à l'œuvre de Hammourabi un rayonnement étendu et durable ; elles justifient qu'on le regarde encore comme le monument législatif le plus fameux de l'antiquité préromaine.
Selon de nombreux assyriologues, il faudrait lire Hammourapi, mais certains, tout en admettant le bien-fondé de cette mise au point, préfèrent le nom consacré par l'usage.
La chronologie absolue de l'histoire mésopotamienne jusqu'au milieu du IIe millénaire reste très discutée. Le règne de Hammourabi, placé naguère aux alentours de l'an 2000, a été abaissé de trois siècles. Après l’usage, jusqu’au milieu du xxe siècle, d’une chronologie « courte » (1728-1686) donnée par F. Cornelius (Klio, 1942), une chronologie « moyenne » (1792-1750), retenue ici, (M. B. Rowton, Cambridge Ancient History) s’est imposée.
Il n'existe ni chroniques ni annales contemporaines. L'histoire politique est reconstituée surtout à l'aide des « formules de datation », car les Babyloniens désignaient les années par les événements mémorables (victoires, dédicaces des temples, constructions de canaux, de palais ou de fortifications). Même recoupés par les renseignements que fournissent des lettres diplomatiques, les faits demeurent parfois, dans le détail, d'une interprétation malaisée. Ces incertitudes n'affectent ni la physionomie d'ensemble du règne ni, moins encore, le panorama de la civilisation babylonienne au temps de Hammourabi.[...]
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Écrit par
- Guillaume CARDASCIA : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris
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