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HAN YU (768-824)

Le doctrinaire

Pour Han Yu, toutefois, cette libération de la forme ne représentait pas le véritable objectif du mouvement, qui était d'ordre idéologique. Durant les Six Dynasties, s'était progressivement dégagée la notion que la littérature est une discipline spécifique, et les critiques avaient commencé à distinguer entre l'écriture comme instrument de communication (bi) et l'écriture comme matière d'une création esthétique, c'est-à-dire la littérature au sens propre (wen). En réaction contre cette conception nouvelle, Han Yu, revenant à l'ancien état d'indistinction entre la chose écrite et l'œuvre littéraire, en exclut la littérature pure et ne la considère qu'en tant qu'elle est véhicule de doctrine (wenyi zai dao). Réduisant l'activité littéraire à la seule prédication philosophico-morale, cette théorie jettera plus tard le discrédit sur tous les genres littéraires présentant un caractère de gratuité ou de divertissement : roman, théâtre et, dans une certaine mesure même, poésie chantée.

La « prose antique » était donc pour Han Yu la forme la mieux appropriée à diffuser la doctrine antique. Et cette doctrine, que l'écriture avait pour mission de propager, devait être entendue dans un sens très étroit, celui de l'orthodoxie confucéenne. Han Yu se sentait investi d'une mission : à contre-courant de l'éclectisme qui prévalait alors, dans un âge où le bouddhisme et le taoïsme étaient florissants et jouissaient même des faveurs impériales, il entreprit de relever le confucianisme de la relative désaffection où cette philosophie était tombée, et de l'ériger en vérité officielle et unique. Il s'attela à cette tâche avec une éloquence polémique de tribun plutôt qu'avec la réflexion d'un penseur ; pour lui, la défense de l'orthodoxie confucéenne consistait d'abord à attaquer le taoïsme et le bouddhisme, à l'égard desquels il préconisait de véritables mesures de persécution – faisant preuve en cela d'un sectarisme fort étranger à l'humanisme universaliste qu'avait enseigné Confucius. Contre le bouddhisme en particulier, il ne recourt pas à des arguments rationnels, mais fait essentiellement appel à des sentiments xénophobes (ainsi, la célèbre admonestation qu'il osa adresser à l'empereur Xianzong pour protester contre l'hommage public rendu par ce dernier à une relique du Bouddha).

Dans le développement de la doctrine confucéenne, la contribution philosophique de Han Yu fut pratiquement nulle. La plupart des penseurs tiennent son œuvre en assez médiocre estime et, depuis Zhu Xi jusqu'à Kang Youwei, se sont accordés pour ne voir en lui qu'un admirable artisan de la langue, habile seulement à rythmer des cadences et équilibrer des périodes. Bilan paradoxal pour un écrivain qui estimait que la seule justification d'une œuvre résidait dans son enseignement et non dans sa forme. Mais si son apport doctrinal fut négligeable, son action de propagande produisit des effets considérables : à un moment où le confucianisme semblait perdre de son rayonnement au profit du taoïsme et du bouddhisme, Han Yu réussit à renverser le courant et prépara ainsi les voies pour le grand renouveau de la pensée confucéenne qui devait se produire sous les Song (de 960 à 1279). Il a aussi sa part de responsabilité dans cette orientation jalouse et chauvine que devait prendre le confucianisme – et cette influence, pour déplorable qu'elle soit, n'en est pas moins importante.

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Écrit par

  • : reader, Department of Chinese, Australian National University

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