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HAN YU (768-824)

Un homme ligoté

Artisan d'un nouveau langage, meneur éloquent, libre penseur affranchi des superstitions religieuses, champion audacieux qui, pour la défense de ses idées, n'hésite pas à défier l'empereur au péril de sa propre vie : ces divers aspects de la personnalité de Han Yu pourraient faire croire qu'il fut un homme de caractère et un homme libre. En réalité, un regard sur sa destinée ballottée fait entrevoir une image bien différente.

Né à Dengzhou, dans le Henan, orphelin de père dès son plus jeune âge, Han Yu fut marqué par les années difficiles de son enfance. Arrivé dans la capitale, adolescent plein d'ambition, il rongea son frein pendant dix années sans parvenir à percer, et cela malgré une activité intense toute consacrée à organiser sa propre publicité. Finalement, il réussira à entrer dans la carrière mandarinale et s'y élèvera jusqu'aux postes les plus éminents (il devint ministre des Rites), mais cette ascension sera laborieuse et traversée d'orages : deux fois il fut frappé d'une mesure de disgrâce qui vint lui rappeler que, même au sommet, sa position restait toujours précaire. Il lui manquait au fond cette assurance et cette indépendance d'esprit que procurait à la plupart des lettrés la double assise d'un clan familial et d'une propriété terrienne, laquelle, si modeste fût-elle, pouvait servir de havre en cas de tourmente. Han Yu était tout à la fois dévoré par la rage d'arriver et privé de toute position de repli ; d'où, tour à tour, ces actions d'éclat et cette promptitude à renier ses positions intellectuelles et morales sitôt qu'il se trouvait dans l'épreuve.

Sa vie durant, il se fit le valet des puissants, il gaspilla le plus clair de son temps et de son génie à composer dans une langue superbe de creuses pièces de circonstance à la louange d'individus qui n'avaient d'autre mérite que d'être riches et influents. Cela n'allait cependant pas chez lui sans mouvements de révolte : il ressentait amèrement ce divorce entre d'une part sa vocation d'intellectuel attaché à la défense intransigeante de la vérité et, d'autre part, l'humiliante prostitution de son talent. Mais il était ligoté de façon d'autant plus étroite qu'il se trouvait divisé intérieurement : tout en appartenant à cette classe d'intellectuels besogneux que la réforme du système des examens avait remis en selle après l'intermède aristocratique des Six Dynasties, Han Yu en fait, par tempérament et par formation, s'identifiait moralement à ces grands aristocrates terriens dont il était devenu le thuriféraire professionnel et, s'il souffrait de devoir perpétuellement les flagorner, il adhérait sincèrement à leur système de valeurs. Tout cela lui compose une personnalité complexe et contradictoire qu'il est malaisé de cerner : esprit réactionnaire, sa réceptivité et son intelligence l'ouvraient pourtant aux courants nouveaux de son époque et lui permirent à divers égards de jouer un rôle de précurseur. Son agilité d'esprit semble cependant ne s'être exercée le plus souvent qu'à la superficie des problèmes.

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Écrit par

  • : reader, Department of Chinese, Australian National University

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