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HAN YU (768-824)

L'œuvre

L'œuvre en prose englobe les genres les plus variés. Une des raisons de son prestige littéraire tient précisément dans la diversité de son registre : les pédants y trouvent un assortiment de modèles de style appropriés à toutes les occasions. Mis à part quelques élans sincères – telle page où il pleure la mort d'un intime, telle autre où il plaint l'homme de mérite dont les labeurs et les talents n'ont pas obtenu leur juste rétribution –, l'ensemble de son œuvre ne survit guère que par sa langue exemplaire. Dans une civilisation où l'écrit jouit d'un exceptionnel prestige, cet accomplissement est plus considérable qu'il ne paraît à première vue, et il a suffi pour justifier pendant des siècles le véritable culte que les meilleurs écrivains ne cessèrent de lui vouer. Son influence fut profonde et durable : jusqu'à la révolution littéraire du début du xxe siècle, l'essai en prose s'est servi exclusivement des formes qu'il avait imposées.

L'éminence du prosateur ne doit pas faire oublier le poète. Sa poésie a suscité des jugements contradictoires, pour certains même elle ne serait que de la « prose rimée ». Il est un fait que Han Yu utilise en poésie des procédés propres à la prose, et c'est d'ailleurs là sa principale originalité. Sa façon d'employer les particules, de placer la césure à des endroits inusités, son goût des rimes rares et des termes insolites, la construction torturée de son vers, tout cela n'est pas toujours d'un effet très heureux, et il y a souvent un contraste fâcheux entre l'excessive recherche formelle et la relative platitude de l'inspiration. Il lui arrive pourtant, sous l'impulsion d'un sentiment vrai, de trouver des accents qui touchent. En tout état de cause, il n'est jamais banal, et cette poésie rocailleuse possède une réelle puissance. On peut lui reprocher un labeur trop concerté, mais on ne saurait nier le caractère radicalement neuf de son entreprise ; en un sens, sa poésie présente une création plus originale encore que sa prose.

Après Wang Wei, Meng Haoran, Li Bo, Du Fu, on aurait pu croire les possibilités d'expression de la poésie chinoise épuisées ; le mérite particulier de Han Yu et de son contemporain Bo Juyi est d'avoir réussi contre toute attente à renouveler cet art et à lui ouvrir des voies inédites, Han dans le sens d'un baroquisme ampoulé, Bo dans celui de la simplicité et de l'aisance limpide.

— Pierre RYCKMANS

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Écrit par

  • : reader, Department of Chinese, Australian National University

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