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BELLMER HANS (1902-1975)

Le corps désarticulé

En 1938, Bellmer, désormais veuf et indésirable dans son pays, s'installe à Paris. Lorsque la guerre éclate, il est interné au camp des Milles avec Max Ernst, puis se réfugie à Toulouse, et à Castres, où il survit en vendant des portraits. Parallèlement, il poursuit son exploration graphique du désir. Raffinant son trait à l'extrême, il traduit la polymorphie du fantasme en multipliant les effets de transparence qui caractériseront plus tard ses illustrations pour Histoire de l'œil (1945) ou Madame Edwarda (1965) de Bataille.

Durant la guerre, il s'adonne à la décalcomanie selon le principe élaboré par Oscar Dominguez en 1936, et découvre la gravure, dont l'outillage incisif répond mieux que la photographie à la mise au jour des mécanismes de sa pensée. Avec Nora Mitrani, « sœur de l'impossible », éprise comme lui d'anagrammes, il poursuit l'élaboration de son « dictionnaire pour la conscience du corps », lequel, à l'instar de la phrase, doit faire l'objet d'une désarticulation permanente, « pour que se recomposent, à travers une série d'anagrammes sans fins, ses contenus véritables » (Petite Anatomie de l'inconscient physique, ou l'Anatomie de l'image, 1957).

Rentré à Paris après la guerre, Bellmer peine à vivre de son art, malgré la parution des Jeux de la poupée en 1949 (photographies colorisées de la Poupée et poèmes de Paul Eluard). La rencontre à Berlin, l'année suivante, de la journaliste Unica Zürn (1916-1970) invite Bellmer à renouer avec l'« Amour intact » (Nora Mitrani). Ils composent ensemble un livre (Hexentexte, Textes de sorcière, publié à Berlin en 1954 sous le seul nom d'Unica Zürn) où se mêlent anagrammes et dessins, avant de revenir à Paris vivre une vie de « céphalopode à deux », ponctuée par les crises d'angoisse de la jeune femme. La précarité matérielle continuera de menacer le couple jusqu'à ce que Daniel Cordier, en 1959, achète à l'artiste un grand nombre d'œuvres. Mais il lui faudra attendre 1966 pour que se manifeste en Allemagne une véritable reconnaissance à son égard. Cette éclaircie sera interrompue par le suicide de sa compagne, en 1970. Bellmer poursuit alors son travail seul, fidèle à une recherche sur la texture de l'imaginaire qui n'a cessé d'être, au sens le plus fort, et comme il le confirme lui-même à la fin de Petite Anatomie de l'inconscient physique, « expérimentale ». Il meurt à Paris en 1975.

— Catherine VASSEUR

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Écrit par

  • : docteur en histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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