GADAMER HANS-GEORG (1900-2002)
Hans-Georg Gadamer est né le 11 février 1900 à Breslau. Plus proche de la sensibilité esthétique et religieuse de sa mère que de la mentalité scientiste de son père qui ne cessait de le mettre en garde contre les « bavardages ineptes » des sciences de l'esprit, il débute ses années d'apprentissage philosophique en 1919 à l'université de Marbourg, où il suit les enseignements de Nicolaï Hartmann et de Paul Natorp. C'est sous la direction de ce dernier qu'il va rédiger sa thèse de philosophie sur le plaisir chez Platon, qu'il soutient en 1922. Son évolution intellectuelle ultérieure est marquée par la lecture du manuscrit que Heidegger avait envoyé à Natorp et dans lequel il exposait les lignes directrices d'une interprétation phénoménologique d'Aristote. Gadamer s'inscrit pour le semestre d'été 1923 à l'université de Fribourg-en-Brisgau, afin d'y suivre les derniers cours que Heidegger y donnait en qualité de Privatdozent. La nomination de celui-ci à Marbourg permet à Gadamer de revenir à son université d'origine où, au grand dam de ses anciens mentors, il poursuit sa formation avec l'auteur d'Être et Temps, et rédige sous sa direction sa thèse d'habilitation, l'Éthique dialectique de Platon (1931).
Dans son « auto-présentation » de 1959, il résume sa dette envers Heidegger par une formule, qui reflète le fil directeur de sa propre pensée : permettre aux pensées de la tradition philosophique de redevenir vivantes, en les comprenant comme des réponses à de véritables questions.
En 1959, ces intuitions trouveront leur expression systématique dans ce qui s'intitulait initialement « Lignes directrices d'une herméneutique philosophique », et qui fut publié en 1960 sous le titre : Vérité et Méthode. Le concept clé de l'ouvrage est celui de Wirkungsgeschichte (« histoire de l'efficience » ou « histoire de l'influence ») Il reflète l'historicité constitutive de toute compréhension. « En vérité, l'histoire ne nous appartient pas, c'est au contraire nous qui lui appartenons » : cette thèse, et son corollaire qui stipule que « le foyer de la subjectivité n'est qu'un miroir déformant », parce que « l'auto-réflexion n'est qu'un clignotement au sein du circuit ininterrompu de la vie historique », résume l'intuition directrice de l'œuvre.
Des « vérités » sans « méthode »
Gadamer veut comprendre la compréhension mieux qu'il n'est possible de le faire en s'appuyant sur le concept de connaissance propre à la science moderne. Celle-ci, et la philosophie qui s'en inspire, cherche la certitude apodictique, de type démonstratif ; Gadamer décrit au contraire des expériences de vérité dans l'art, l'histoire, et le langage qui échappent à la tutelle de l'épistémologie. Sa réflexion sur les sciences de l'esprit ne prend pas pour guide les règles cartésiennes pour la direction de l'entendement, mais s'inspire du projet de « nouvelle science » formulé par Giambattista Vico, qui s'efforce de réhabiliter les concepts directeurs de la tradition humaniste : « culture » (Bildung), « sens commun », « faculté de juger » (Urteilskraft) et « goût ». En écho à H.L. von Helmholtz, Gadamer se demande si les sciences de l'esprit ne sont pas davantage une affaire de tact que de méthode. Rejetant aussi bien le « nihilisme herméneutique » qui accorde à l'interprète une toute-puissance démiurgique, que le « pointillisme absolu », dans lequel les vécus psychiques se succèdent sans aucune continuité, il veut retrouver la continuité herméneutique de l'existence humaine.
L'herméneutique ne devient philosophique que si elle rend d'abord justice à l'expérience esthétique.[...]
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Écrit par
- Jean GREISCH : docteur en philosophie, professeur émérite de la faculté de philosophie de l'Institut catholique de Paris, titulaire de la chaire "Romano Guardini" à l'université Humboldt de Berlin (2009-2012)
Classification
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