JAHNN HANS HENNY (1894-1959)
Né près de Hambourg dans une famille de constructeurs de navires, Hans Henny Jahnn est l'un des écrivains allemands les plus audacieux et les plus complexes du xxe siècle. Pour l'essentiel, ses livres sont tirés des expériences de sa propre vie. Ils sont traversés par le thème de l'homosexualité ou, plus exactement, de l'homoérotisme. Adolescent, Jahnn est tombé amoureux d'un camarade de lycée, Gottlieb Friedrich Harms. Bien que tous deux soient devenus plus tard pères de famille, s'étant mariés avec deux sœurs, ils ont partagé trente ans d'existence en commun. Pacifistes lors de la Première Guerre mondiale, les deux amis émigrent en Norvège de 1915 à 1918. Dans l'isolement et la révolte, Jahnn s'y forge un nouvel univers, en radicale opposition au monde bourgeois. Sa vision s'appuie sur le principe de l'amitié fraternelle, imaginant le retour à un « grand début » où la Création serait animée d'un dynamisme homoérotique.
Rentré en Allemagne du Nord, Jahnn fonde en 1919 à Eckel, en compagnie de Harms et d'un sculpteur, Franz Buse, une communauté spirituelle qu'il baptise du nom d'Ugrino, tournée vers l'utopie d'un monde où se réaliserait la fusion du masculin et du féminin. À cette communauté, s'appuie une maison d'édition qui publie des partitions de musique. Jahnn réhabilite ainsi les œuvres musicales de la Renaissance et la musique d'orgue dite baroque.
En 1920, le prix Kleist lui est décerné pour une pièce, Pasteur Ephraïm Magnus, qu'il a écrite en Norvège en 1916-1917. Dans une langue violente, émaillée d'archaïsmes rappelant la Bible, l'œuvre exprime la Passion vécue par les trois enfants d'un vieux pasteur, mort après un long monologue de révolte contre la pourriture qui gagnait son corps. Jakob, Johanna, Ephraïm ont appris des dernières paroles de leur père quelle est la voie qui conduit à Dieu : une vie pleine et sans frein, avec la volonté d'être soi-même jusqu'au bout. C'est Ephraïm, prédicateur d'une église nouvelle, qui rachète, sur fond de musique d'orgue, et après avoir souffert émasculation et crucifixion, son frère criminel et les désirs incestueux de sa sœur.
Cette pièce, qui exhibe la décomposition organique et les frustrations sexuelles, attaque vivement le christianisme. Dès sa publication, elle vaut à Jahnn une réputation de pornographe qui ne le quittera plus. D'autres pièces suivent : Le Couronnement de Richard III (1921), très librement inspirée de Shakespeare, Le Dieu volé (1924), Médée (1926), puis Coin de rue (1931). Un premier roman, Ugrino et Ingrabanie, restera inachevé. Ce qui constitue presque une règle pour cet écrivain. Ses textes ne sont, estime-t-il, que des fragments.
Entremêlée à l'écriture, une autre activité sollicite Jahnn depuis la fin de son adolescence : la connaissance technique des orgues. Durant son émigration en Norvège, il a entrepris de construire ces instruments. Dans les années 1920, découvrant ceux qui subsistaient dans les églises d'Allemagne du Nord, il étudie avec soin leurs procédés de fabrication, leur mécanisme. Il s'affirme bientôt comme un spécialiste de très haute compétence, au point que, de 1931 à 1933, la ville de Hambourg l'engage en qualité d'expert. Une telle passion pour l'orgue n'a pas simplement pour origine l'émotion que Jahnn ressent à l'écoute de ses sonorités. Elle est en relation étroite avec une conception générale de la vie. Convaincu qu'il est possible pour l'homme de vivre harmonieusement en s'intégrant à l'unité de la Création, Jahnn pense que l'orgue met en place un espace sacré qui transmet un sentiment religieux de respect à l'égard de l'univers.
Pour Jahnn l'homme est corps avant tout, et non esprit.[...]
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Écrit par
- Lionel RICHARD : professeur honoraire des Universités
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Autres références
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ORGUE
- Écrit par Pierre-Paul LACAS
- 9 721 mots
- 14 médias
C'est à propos de cette esthétique que Hans Henny Jahnn écrivait : « Une telle juxtaposition (de 16′, de 8′) ne peut donner un son à mi-chemin entre le normal et l'horrible que dans la mesure où ces jeux „fondamentaux“ sont diapasonés et harmonisés de telle sorte que le fort écrase le faible et...