KELSEN HANS (1881-1973)
Théorie du droit et de l'État
La science du droit décrit le droit positif, c'est-à-dire le droit en vigueur dans un pays donné à un moment particulier, le droit autrichien de 1920 ou le droit français de 1958. Comme les droits positifs ont des contenus profondément différents les uns des autres, les propositions de la science du droit ne peuvent être que contingentes. Néanmoins, il faut concevoir aussi une théorie générale, c'est-à-dire une théorie qui puisse décrire les caractères communs à tous les droits, quels qu'ils soient. Comme les contenus sont variables, ces caractères ne peuvent être que formels. La théorie du droit de Kelsen est donc une théorie formelle.
Tous les droits positifs comportent des normes juridiques. La théorie du droit de Kelsen est d'ailleurs parfois appelée « normativisme ». Mais ils ne sauraient être définis comme des ensembles de normes, car il faudrait alors une définition des normes juridiques. Or il est impossible de parvenir à une définition indépendante et autonome de la norme juridique, car des normes qui ne sont pas juridiques, telles que les normes morales ou les normes sociales, présentent les mêmes caractères, comme d'être des prescriptions ou d'être assorties de la menace d'une sanction. On peut seulement les distinguer par le système auquel elles appartiennent : une norme juridique est une norme qui appartient au système juridique.
Si l'on considère par exemple deux prescriptions analogues par leur contenu, le commandement du voleur « la bourse ou la vie » et celui du percepteur « vous devez payer l'impôt sous peine d'amende ou de saisie », celui du percepteur est une norme, parce que, contrairement au voleur, il a été habilité à émettre son commandement de payer par une autre norme, la loi, adoptée par le Parlement. La loi est elle-même une norme, non pas parce qu'elle a été votée, mais parce que la Constitution a habilité le Parlement à adopter des lois. C'est donc l'habilitation seule qui fait d'un commandement ou d'une injonction une norme juridique. En d'autres termes, le système juridique ne se définit pas par ses éléments, ce sont les éléments qui se définissent par l'appartenance au système juridique. Celui-ci se définit à son tour par le simple fait qu'il est efficace (c'est-à-dire sanctionné) sur un certain espace juridique. En résumé, il se confond avec l'État. C'est la fameuse thèse de l'identité de l'État et du droit, qui présente l'immense avantage de « dissoudre » le vieux problème des rapports de l'État et du droit : on ne peut pas demander si l'État est soumis au droit ou le droit à l'État, dès lors qu'ils se confondent. De ce point de vue, l'expression « État de droit » est un pléonasme, et tout État est un État de droit.
On remarque enfin que, au sein du système, les normes sont hiérarchisées. Le commandement du percepteur, la sentence d'un tribunal ou un contrat sont des normes – on dit qu'elles sont valides, ou obligatoires – parce qu'elles sont conformes à une norme supérieure, la loi, qui est elle-même conforme à une norme encore supérieure, la Constitution. On est alors fondé à demander : pourquoi la Constitution peut elle-même être appelée une norme, dès lors qu'on ne peut trouver une autre norme qui lui soit supérieure ? la réponse de Kelsen est qu'il faut supposer une norme fondamentale. Il faut préciser qu'il ne s'agit pas là d'une hypothèse que l'on pourrait tester. La norme fondamentale n'a pas d'existence. C'est seulement un présupposé nécessaire à tous les juristes qui ont besoin de traiter un contrat comme une norme juridique valide et qui doivent pour cela supposer que la Constitution, qui est son fondement ultime, est une norme valide.[...]
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Écrit par
- Michel TROPER : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre, membre de l'Institut universitaire de France
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Né à Gernowitz, dans la province austro-hongroise de Bucovine — l'actuelle ville ukrainienne de Tchernovtsi —, Ehrlich étudie le droit à Vienne et y enseigne le droit romain de 1899 à 1914 ; il professe ensuite, quelque temps, la même discipline à Gernowitz. Jeune, il s'était converti du judaïsme au...
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