ENZENSBERGER HANS MAGNUS (1929-2022)
Où va la littérature ?
En 1965, Enzensberger a créé aux éditions Suhrkamp – dont il fut un temps l'un des directeurs littéraires – la revue Kursbuch, qui trouva par la suite un toit plus conforme à son engagement politique aux éditions Rotbuch. Porté par un grand projet qu'il définit comme un projet d'alphabétisation politique de l'Allemagne, l’écrivain publie dans sa revue des textes de critique linguistique et sémiotique, et pose la question de la fonction de la littérature dans un monde en pleine transformation. Sa célèbre intervention sur « les lieux communs concernant la nouvelle littérature » (1968 ; Gemeinplätze, die NeuesteLiteraturbetreffend) lui vaut la réputation d'avoir prédit la « mort de la littérature », alors qu'il n'a fait que constater que celle-ci n'était plus en harmonie avec la société, qu'elle était sans prise sur le politique et, par conséquent, quasi superflue, car seulement occupée d'elle-même.
La modernité, poursuit Enzensberger, ne peut se comprendre uniquement comme un processus progressiste purement artistique : elle doit générer de nouvelles écritures poétiques, de nouvelles formes dramatiques, un nouveau ductus narratif. Sinon, elle ne sera plus rien. Les relations de la littérature au politique et de la poésie à l'engagement sont et resteront le sujet constant de la réflexion de l’écrivain. Elle fédère les multiples champs de sa création et nourrit son aspiration au non-conformisme tant sur le plan de l'écriture poétique que sur le plan politique.
En ce sens, Enzensberger peut être considéré comme le prototype de l'intellectuel ouest-allemand qui, plus encore que ses confrères Heinrich Böll (1917-1985) ou Günter Grass (1927-2015), s'est donné comme objectif suprême la dissidence, la fuite loin des pensées préformées de l'establishment, que ce soit celui du pouvoir ou celui de l'opposition. Cette attitude de non-conformisme est née d'une confrontation avec l'ère de restauration conduite par le chancelier Konrad Adenauer, l'ère du « miracle économique allemand », qui inspira à Enzensberger ce mot terrible : « musterland, mördergrube » (« pays modèle, fosse d'assassins »).
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Écrit par
- Nicole BARY
: directrice de l'association
Les Amis du roi des Aulnes , traductrice - Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Média
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