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ENZENSBERGER HANS MAGNUS (1929-2022)

L'avènement de la « normalité »

Ses premiers poèmes, couronnés dès 1963 par le prix Georg-Büchner, sont à des années-lumière des évocations de la nature chères à la poésie de l'immédiat après-guerre, tout en étant également très éloignés des traditions littéraires représentées tant par Bertolt Brecht (1898-1956) que par Gottfried Benn (1886-1956). Très tôt, Enzensberger a trouvé ses sources dans un champ beaucoup plus large qui n'excluait aucune des avant-gardes européennes, comme l'atteste l'anthologie qu'il publie en 1960, Museum der modernenPoesie(Musée de la poésie moderne).

Dans les années 1970, ses travaux révèlent une lente prise de distance avec l'utopie sociale. Alors que dans ses essais et dans Der kurze Sommer der Anarchie (1972 ; Le Bref Été de l'anarchie, 1975), roman-montage sur l'anarchiste espagnol Buenaventura Durruti (1896-1936), les braises de la révolution ne sont pas encore éteintes, son long poème dramatique Der Untergang der Titanic (1978 ; Le Naufrage du Titanic, 1981) donne lieu à un nouveau questionnement : comment l'art peut-il, avec ses moyens, rendre compte de l'échec, de la catastrophe ? Toutefois, Enzensberger ne succombe pas à la résignation oublieuse du passé, propre à cette décennie qui voit émerger en littérature « la nouvelle subjectivité ». Les poèmes publiés dans les années 1970, comme Mausoleum (1975 ; Mausolée, 1987), se détachent nettement, bien que sans didactisme, de la production poétique de ses contemporains empêtrée dans le quotidien et l'expression du « moi ».

Grand voyageur, traducteur de plusieurs langues dont le français, Enzensberger fait de fréquents séjours à l'étranger (Italie, Norvège, France, États-Unis, Cuba, URSS), qui lui fournissent la matière de divers ouvrages, comme en 1970 la pièce de théâtre Das Verhör von Habana (L'Interrogatoire de La Havane). Il publie de nombreuses traductions et fait connaître en Allemagne Pablo Neruda, Octavio Paz, Lars Gustafsson, et bien d'autres encore.

Au cours de la décennie suivante, il publie ses essais les plus importants : PolitischeBrosamen(1982 ; Miettes politiques) et MittelmassundWahn(1988 ; Médiocrité et folie, 1991). Une fois de plus, il révèle la finesse de son observation et de son analyse de la situation de la littérature et de la réalité politique dans les années précédant la chute du Mur de Berlin et la réunification de l'Allemagne. Il souligne la fin de la critique sociale dans sa forme traditionnelle et l'avènement d'un nouveau concept qui est loin de le satisfaire : celui de « normalité », abondamment utilisé par la classe politique. Sa réflexion se concentre par la suite sur son œuvre et sa personne et, lorsqu'il se consacre au travail d'autres écrivains, c'est son moi de créateur qui reste omniprésent : DiderotsSchatten (L'Ombre de Diderot), en 1994 ;Nieder mit Goethe!EineLiebeserklärung (À bas Goethe! Une déclaration d'amour), en 1995 ; Voltaires Neffe. EineFälschung in Diderots Manier (Le Neveu de Voltaire. Un pastiche à la manière de Diderot), en 1996.

En 1980, Enzensberger crée la revue mensuelle TransAtlantik. En 1985, il fonde « Die andere Bibliothek », une collection qui s'impose rapidement par la diversité et la qualité de ses publications. Elle paraît d'abord aux éditions Greno, puis à partir de 1989 aux éditions Eichborn. On doit à Enzensberger la découverte de W. G. Sebald (1944-2001) et la réédition du journal intime tenu par une Berlinoise anonyme entre le 20 avril et le 22 juin 1945, Anonyma, Eine Frau in Berlin (2003 ; Une femme à Berlin, 2006). C'est également dans cette collection qu'il publie sous un de ses pseudonymes (Andreas Thalmayr) quelques essais remarqués, comme, en 1985, son plaidoyer pour une réhabilitation de la poésie, [...]

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Écrit par

  • : directrice de l'association Les Amis du roi des Aulnes, traductrice
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Hans Magnus Enzensberger - crédits : P/F/H/ ullstein bild/ Getty Images

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