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HARMONIE

L'effet des accords

Il serait faux pourtant de dire que les accords n'ont pas en soi une personnalité propre, dépendant de leur structure, de leur substance, des intervalles qu'ils associent entre eux et de la répartition qu'ils en font dans l'espace sonore. Ils en arrivent ainsi à rayonner autour d'eux une sorte de fluide perçu par l'auditeur dans une sensation qui semble intéresser à des degrés divers l'ouïe, la vue et même le toucher : une impression de couleur, de densité, une caresse, un enveloppement voluptueux, un sentiment suggéré, l'esquisse d'un mouvement.

Il est vrai que ces effets sur notre affectivité dépendent non seulement de l'accord considéré mais de son contexte, que le même accord peut dans une atmosphère donnée être perçu, ici comme un coup de lumière, là comme un assombrissement. Cela dépend bien souvent, dans une écriture modulante, de la tonalité dont il s'évade ou de celle qu'il introduit. Cela dépend encore de la tessiture où on le fait entendre ou de la position large ou resserrée des sons qui le constituent.

Il n'en reste pas moins que les rapports d'intervalles qui s'établissent dans la contexture d'un accord le prédestinent, dans une certaine mesure, à certains usages de préférence à d'autres. Rameau, qui était très attentif à ces phénomènes, a été l'un des premiers à le percevoir ; témoin cette phrase prophétique en avance d'au moins un siècle sur les conceptions de son époque : « La douceur et la tendresse s'expriment parfois assez bien par emprunts et par superpositions (septièmes diminuées, neuvièmes et onzièmes) plutôt mineures que majeures, dans les parties du milieu plutôt que dans les extrêmes. Le désespoir et toutes les passions qui portent à la fureur demandent des dissonances de toute espèce non préparées ; et surtout que les majeurs règnent dans le dessus. Il est beau dans certaines expressions de cette nature de passer d'un ton à l'autre par une dissonance non préparée. »

L'accord de quarte et sixte

Pour prendre l'exemple le plus simple que puisse fournir tout le vocabulaire de l'harmonie classique, il suffit de s'arrêter un instant sur l'accord de quarte et sixte, accord consonant de trois notes qui n'est autre que l'accord parfait : do-mi-sol, attaqué en plaçant le sol à la basse. Il est évident qu'il n'a pas du tout la même couleur et qu'il ne peut pas avoir la même fonction que l'accord do-mi-sol dans sa position fondamentale. La musique classique en fait un usage immodéré dans ce qu'on appelle la cadence parfaite.

Or, dans cette cadence parfaite, malgré le caractère statique qu'ont les accords consonants de trois sons, l'accord prend une valeur dynamique parce que ses deux sons supérieurs, sous-entendant l'harmonie qui va suivre, semblent l'appeler et n'être là que pour indiquer un mouvement vers elle. D'où le rôle capital que les musiciens classiques confient à l'accord de quarte et sixte, à savoir celui d'introduire la cadence qui précède toujours la conclusion d'une œuvre concertante ; cadence où le virtuose se lance dans des acrobaties, souvent improvisées au temps jadis. Quand il a épuisé son répertoire, il ramène harmoniquement à la formule cadencielle laissée en suspens, l'orchestre la reprend où il l'avait laissée, et c'est la fin du morceau, parfois retardée par une coda.

Ce fameux accord de quarte et sixte, tellement attendu dans tous les concerti classiques, n'a plus très bonne presse à partir de la seconde moitié du xixe siècle. Richard Strauss en a fait cependant très largement usage, mais non point selon la formule classique. Il est plutôt pour lui un moyen de marquer des étapes du discours musical, parce qu'il se manifeste à[...]

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Écrit par

  • : compositeur de musique, ancien directeur de la musique et du programme national de la Radiodiffusion française

Classification

Médias

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